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ANALYSES.m. müller. Biographies of Words.

antérieur à celui d’esprit, la théorie de l’origine du langage sur laquelle il se fonde pour en voir la cause est absolument inacceptable.

Cette théorie, qui est celle de M. L. Noiré, peut se résumer dans une sorte d’apologue qui serait ainsi conçu :

« Au temps où les hommes ne parlaient pas, ils se réunirent un jour pour creuser un fossé. Cette action provoqua de leur part un cri inconscient, khan ! qu’ils se plurent à répéter en chœur et qui devint ainsi pour eux le nom du genre de travail à l’occasion duquel il s’était produit. Le même phénomène, suivi des mêmes conséquences, se renouvela pour toutes les opérations auxquelles ils se livrèrent en commun. De cette manière, à chaque acte particulier accompli de concert correspondit un cri monosyllabique spécial qui servit à le désigner. Voilà comment le langage est né parmi les hommes et comment les mêmes sons sont devenus pour des races entières les signes communs des mêmes actions. »

Il y aurait quelque naïveté, ce nous semble, à discuter sérieusement une pareille conception. On navigue avec elle à pleines voiles dans le pays des chimères, et, rêve pour rêve, nous préférons encore celui qui a donné naissance à la légende de la tour de Babel et de la confusion des langues aux fantaisies tout aussi invraisemblables, mais beaucoup moins poétiques de M. Noiré.

Nous ne recherchons pas comment un philologue aussi éminent que M. Max Müller a pu se laisser séduire par les excentricités linguistiques d’un philosophe à l’imagination aventureuse comme M. Noiré. Cependant, en examinant la méthode que le célèbre auteur de la Science du langage, et de tant d’autres ouvrages estimés sur la matière, apporte dans les étymologies nombreuses qu’il propose pour la première fois, ou qu’il renouvelle d’après des études antérieures dans le livre dont nous nous occupons, nous pourrons constater des défaillances de logique qui ne sont pas sans analogie avec le mirage qui l’a égaré en d’autres circonstances.

Quand un mot change de sens, y a-t-il des règles qui président à ce changement, ou bien s’effectue-t-il au gré de raisons purement accidentelles et fortuites, qui ne permettent pas de former des séries de cas analogues et d’en conclure qu’en semblable matière telle cause a généralement déterminé tel effet ? En d’autres termes, existe-t-il, oui ou non, une science de l’évolution du sens des mots, ou de la sémantique, comme on l’a appelée dans ces derniers temps ?

M. Max Müller ne pose pas cette question, capitale pourtant, et sur laquelle il faut être absolument fixé quand on s’occupe d’étymologie ; mais il procède constamment comme s’il penchait vers la négative, On conçoit du reste quelles erreurs peuvent être la conséquence de tendances semblables, si le principe dont on ne tient pas compte se trouvait être vrai.

Voici des exemples qui nous montreront en même temps l’indifférence de l’auteur pour la sémantique, et les aperçus très différents des