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ANALYSES.a. ott. Le problème du mal.

dans la plénitude de leur libre arbitre, les devoirs d’amour et de fraternité ».

L’ordre humain, garanti par la morale, étant fonction de l’ordre universel, c’est déjà un grand bien pour l’homme de savoir qu’il contribue librement à l’accomplissement d’une destinée qui dépasse la sienne. L’homme, en effet, n’est pas une fin en soi ; sa dignité, comme sa félicité, même sur terre, est de travailler à la réalisation du plan divin. La douleur physique n’est que peu de chose en regard de la satisfaction qui résulte de l’accomplissement de la loi morale ; le pessimisme a d’ailleurs grandement exagéré la place que la douleur occupe dans la vie. Et quant au mal, effet des relations sociales, il ne saurait être mis en balance avec le bien qui résulte de ces relations mêmes.

Reste cette objection que le libre arbitre peut faire indéfiniment échec au progrès humain. Mais, sans lui faire violence, Dieu peut susciter dans la conscience des hommes des motifs qui l’inclinent vers le bien. En fait, Dieu intervient dans l’histoire, et son action est assez délicate pour ne pas déranger les lois générales, en sorte qu’aucune expérience scientifique ne la pourra jamais constater. M. Ott n’est pas éloigné de croire que l’œuvre de Jeanne d’Arc, par exemple, ne peut s’expliquer que par une intervention providentielle. Même dans la vie de chacun de nous, cette intervention, sollicitée pour adoucir des douleurs ou atténuer des épreuves qui ne sont pas indispensables au plan divin, peut se produire, et ainsi, sous certaines conditions, la prière est légitime et efficace.

Enfin, l’immortalité de la personne humaine, avec le souvenir de sa vie terrestre, est la conséquence nécessaire du but que Dieu s’est proposé en créant. Pour les bons, la vie future est la continuation et l’exaltation indéfinies de l’amour et de l’activité. « Les bienheureux forment entre eux et avec Dieu une société parfaite, offrant la plus grande variété par la différence des mérites et des caractères et en même temps l’harmonie et l’unité complètes par l’amour réciproque de tous ses membres et le concours de toutes les volontés avec celle de Dieu. » Quant aux méchants, il n’est pas injuste sans doute qu’ils soient punis, mais non d’une manière proportionnelle à la gravité de leurs fautes. Il est permis d’espérer que tous, même les plus pervers, seront définitivement sauvés. Mais dans l’hypothèse d’une volonté qui se constituerait en état d’invincible rébellion contre la loi du bien, Dieu, pour accorder sa bonté avec sa justice, aurait la ressource de punir d’abord et d’anéantir après. L’éternité des peines étant inconciliable avec la miséricorde divine, l’immortalité conditionnelle, acceptée aujourd’hui par nombre de penseurs distingués, fournit une solution conforme aux exigences de la conscience morale.

Je n’ai pu présenter ici qu’une sèche analyse des doctrines contenues dans l’ouvrage de M. Ott. Elles n’ont évidemment toute leur valeur qu’avec les développements qui les éclaircissent et les démonstrations qui les appuient. Elles ne lèvent pas sans doute toutes les