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son indépendance et de sa félicité. « Le sacrifice se présente ainsi comme la condition essentielle de l’amour et la loi universelle des relations des intelligences libres entre elles. Et c’est ce qui est fondé sur la nature des choses. Le sacrifice, en effet, ne se joint pas extérieurement à l’amour, il en est l’âme ; aimer, c’est renoncer à soi-même pour vivre entièrement en celui qu’on aime. C’est par ce sacrifice de lui-même que Dieu est en nous et vit en nous, et ce n’est que par le sacrifice de nous-mêmes à notre tour que nous pouvons vivre en lui et nous unir à l’ordre universel. »

Dans la troisième partie, l’auteur traite de l’ordre établi par Dieu en ce monde. Il montre que l’amour divin n’a pas pu ne pas donner une destination à la nature entière, et que cette destination, pour les êtres capables d’amour et libres, doit être la félicité. Mais cette félicité doit être méritée, ce qui suppose qu’elle ne peut être le fruit que d’efforts plus ou moins pénibles et de sacrifices. De plus, il faut que les êtres créés pour cette destinée soient multiples et vivent en société, car l’amour et les sacrifices réciproques ne sont concevables qu’à cette condition. La vie sociale suppose une loi qui oblige les êtres libres les uns envers les autres, c’est-à-dire une loi morale. Enfin, comme dernière conséquence, « la vie de ces êtres doit nécessairement être divisée en deux périodes : la période des actions et des efforts et la période de la félicité acquise, le temps du travail et des sacrifices et le temps des satisfactions résultant de ces peines, la vie transitoire des épreuves et des douleurs et la vie définitive de la félicité méritée ».

La démonstration de ces propositions remplit les quatre derniers chapitres de l’ouvrage. L’homme étant fonction de l’univers, l’ordre général des choses non humaines doit être approprié à la destinée dernière des êtres libres. Cet ordre, par suite, se manifeste par une série progressive des êtres, dont l’humanité est le terme. La seule objection sérieuse qui puisse s’élever ici contre la bonté divine, c’est que cet ordre comprend, pour les êtres sensibles autres que l’homme, la douleur. Mais on doit penser que la douleur est une condition nécessaire de l’existence d’êtres conscients unis à un organisme, et d’ailleurs un peu de réflexion suffit pour convaincre que la douleur n’est chez l’animal qu’un phénomène secondaire, qu’elle n’occupe, après tout, qu’une place fort restreinte dans sa vie.

Quant à l’ordre humain, il a pour condition essentielle la morale, révélée, dès l’origine, à l’homme par Dieu même. La morale, se superposant aux instincts égoïstes, fonde la société et assure le progrès. Des perturbations sont toujours possibles par l’intervention du libre arbitre, mais Dieu se réserve d’empêcher que les retours en arrière de l’humanité ne soient irrémédiables. Sous l’empire de la morale, l’humanité marche vers la réalisation de son idéal, qui est « la constitution de l’humanité elle-même en un seul corps organisé pacifiquement, assurant à tous la liberté et l’égalité et les mettant tous à même de remplir,