Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
69
ANALYSES.a. ott. Le problème du mal.

tales de la raison humaine, les seules qui s’imposent à l’intelligence divine, soit en vertu de la nature même de Dieu, soit par suite de l’exercice de cette intelligence, sont celles de l’être, de la différence, de la quantité, de l’activité ; les autres sont produites simultanément, ou successivement, par un acte incompréhensible de la toute-puissance souveraine.

Quant à cette puissance, elle est nécessairement limitée, dans son activité créatrice et libre, par certaines lois fondamentales de la pensée et notamment par le principe de contradiction. Toute création doit être logiquement possible ; l’intelligence divine et par suite l’activité divine sont également soumises à la loi de subordination du général au particulier. Mais Dieu est exempt de toutes les autres formes de notre logique. Dans des limites aussi larges, le jeu de l’action intelligente est indéfini.

Il n’en est pas moins vrai que ces conditions rendent inévitable une sorte de mal qu’on pourrait appeler le mal logique, d’où proviennent sans doute toutes les imperfections que nous pouvons reprocher aux choses créées. « On voit quelquefois ce mal résulter directement de la nature des choses. La base du système décimal de numération, par exemple, a le défaut de n’être divisible que par 5 et par 2, tandis que celle du système duodécimal contient un plus grand nombre de facteurs. Mais celle-ci à son tour manque de facteurs importants, et tout système qu’on imaginerait pécherait ainsi par un point quelconque. Dieu aurait sans doute pu trouver un système de numération meilleur que celui que les peuples civilisés ont adopté, mais il n’aurait pu en trouver un sans défaut. Il en est probablement de même de beaucoup de relations de l’ordre physique ou biologique. Malheureusement notre connaissance des phénomènes, de leurs lois et de leurs causes, est encore trop incomplète pour que nous puissions savoir ce qui, avec les éléments donnés, pouvait être fait ou ne le pouvait pas… La science future nous apprendra sans doute que les principes régulateurs et les éléments constitutifs du monde étant donnés, beaucoup de relations que nous voudrions voir meilleures ne pouvaient être différentes de ce qu’elles sont. Ainsi disparaîtront d’elles-mêmes une bonne partie des objections que notre ignorance élève contre l’intelligence et la toute-puissance de Dieu. »

Quant à la bonté divine, elle éclate dans le fait même que Dieu s’est décidé à créer. En prenant cette détermination, Dieu en effet s’est soumis à des conditions. Il n’a pu que réaliser les idées qu’il avait conçues ; il est donc entré dans une voie où des limites lui étaient posées par la nature des choses. Il a donc renoncé à son indépendance absolue, et, dans une certaine mesure, l’a sacrifiée.

De plus, Dieu n’a pu créer les êtres que par amour pour eux. Il se soumet donc à une peine en créant des êtres sensibles sujets à la douleur, et à des obligations en créant des êtres libres et intelligents.

Dieu n’a donc pu témoigner son amour qu’en sacrifiant une partie de