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sité de plus en plus passionnée. La psychologie est même devenue, pour ainsi dire, toute la philosophie d’une école qui l’a rigoureusement séparée de la métaphysique, et l’a si bien associée, en revanche, à la physiologie qu’elle risque de l’y perdre, comme les pythagoriciens et les successeurs immédiats de Platon l’avaient fait s’évanouir autrefois dans les mathématiques. Le but réel de M. Chaignet, en publiant son livre, a été de réagir contre cette tendance, de faire voir que la psychologie ne peut pas être impunément séparée de la métaphysique, et de montrer aussi que beaucoup d’idées, qui paraissent nouvelles et hardies dans leur nouveauté, sont vieilles déjà d’un grand nombre de siècles, que « les morts mènent les vivants ». — « Ce n’est pas sans émotions, dit-il, qu’on mesure la part que les pensées de tous les hommes et de tous les temps, ξυνὸς λόγος, prennent dans la pensée individuelle des génies les plus puissants[1]. » L’histoire de la psychologie accomplit ainsi une œuvre utile et même nécessaire au progrès et à l’intelligence de la science, et, dans les circonstances actuelles, c’est et ce doit être une œuvre de réaction.

Je ne sais si les psychologues contemporains seront fort touchés des avis que M. Chaignet veut leur donner, d’une manière d’ailleurs fort discrète, par la bouche des anciens philosophes, ou très émus de voir que leurs idées sont quelquefois renouvelées des Grecs. Ils pourraient, à supposer qu’ils attachent quelque prix à de si vieilles doctrines, demander d’abord si elles ont été bien comprises, et, d’autre part, la ressemblance qu’on signale entre telle ou telle proposition antique et leurs affirmations modernes, ils auraient bien raison de la regarder comme purement extérieure : ce n’est pas la même chose, en effet, diraient-ils, de rencontrer une hypothèse par hasard et de la former suivant les règles d’une méthode positive. Comme tous les livres de philosophie, celui-ci convertira seulement ceux qui veulent être convertis. Mais à le prendre en lui-même, son originalité est de chercher à prouver que la psychologie a présidé réellement, dès l’origine, à toutes les conceptions philosophiques.

La tâche est assez malaisée, au premier abord, pour l’ensemble des philosophes qui précèdent Socrate. C’est un lieu commun de l’histoire de la philosophie de dire que, le premier, Socrate s’appliqua à l’étude de l’homme, et la psychologie, M. Chaignet le sait mieux que personne, ne fut vraiment organisée que par Aristote. Mais il croit que la philosophie, pour les premiers philosophes grecs, et même pour les premiers poètes, fut déjà ce qu’elle est, à son avis, par essence, l’union de la psychologie et de la métaphysique ; il se sépare sur ce point d’un penseur dont il fait cependant le plus grand cas, de Herbart, qui admettait l’antériorité chronologique de la métaphysique. Il soutient, au contraire, qu’une conscience plus ou moins obscure de certaines vérités psychologiques a guidé les premières recherches des physiciens

  1. Préf., p. x.