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ANALYSES.chaignet. Psychologie des Grecs.

s’est laissé donner plusieurs tâches ; il eût mieux valu pour lui et pour nous qu’il s’en fût proposé une à lui-même dès le début.

À le considérer tel qu’il est, et sans s’inquiéter de ses relations avec ceux qui l’ont précédé, le dernier livre de M. Chaignet, quelle que soit la valeur des parties dont il est formé, surprendra peut-être par la simplicité de sa composition. On se demandera si cette manière d’observer exactement[1] l’ordre des temps, et de donner ainsi une trentaine de monographies sans lien bien marqué et non sans répétitions, est la meilleure pour rendre très sensible le progrès ou le mouvement des idées pendant la période qui s’étend depuis les premiers poètes grecs jusqu’à Dicéarque et Straton. On soupçonnera que ce sont plutôt des matériaux préparés pour une histoire que l’histoire elle-même, des notes patiemment réunies, et rédigées avec plus de soin certainement qu’on n’a coutume de le faire, mais dont l’auteur n’a pas pris le temps de composer l’organisme vivant d’un livre. C’est une série d’articles juxtaposés, dira-t-on, ce n’est pas un tout achevé ; cette suite s’arrête à une date arbitrairement choisie, sans conclusion (ce n’est, il est vrai, qu’un premier volume), et l’appendice, avec son histoire externe de l’école d’Aristote, son tableau des scolarques péripatéticiens, sa liste alphabétique raisonnée des péripatéticiens, est comme un surplus de notes, mal séparé, par son contenu, du reste de l’ouvrage ; ici et là, ce sont toujours en effet des documents plus ou moins étendus, nulle part on ne trouve la mise en œuvre que l’on pourrait souhaiter.

Est-ce à dire que cette mise en œuvre supposerait une doctrine personnelle et que M. Chaignet n’a pas de théorie propre ? Il est d’avis, sans doute, qu’un historien fidèle de la philosophie doit se borner à exposer, comme il les comprend, les opinions d’autrui, et craindre même de les fausser s’il y mêlait les siennes ou les jugeait d’un point de vue particulier ; il sait bien qu’il serait plus agréable de se livrer à des spéculations sur les problèmes de la psychologie, d’essayer, après tant d’autres, de les résoudre pour son propre compte ; mais il n’en a pas moins son but en se bornant à l’histoire. Sa préface et certaines remarques, semées au bas des pages, le découvrent mieux que son livre lui-même. Il estime que, « sans avoir la prétention d’égaler en importance et en dignité les conceptions psychologiques systématiques et originales, l’histoire de la psychologie, dans sa sphère modeste et dans une mesure restreinte, mais encore appréciable, peut rendre d’utiles services à la science et des services qu’elle seule peut lui rendre[2] ». Son ambition est d’écrire cette histoire et d’être utile en l’écrivant ; seulement il a sur l’utilité dont il s’agit des idées spéciales.

De nos jours, les questions psychologiques ont provoqué une curio-

  1. Cet ordre n’est violé qu’une fois, en faveur d’Hippon, que M. Chaignet rapproche avec raison des philosophes ioniens.
  2. Préf., p. iv.