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dus et à présenter les principaux résultats de sa philosophie sur la réalité de nos connaissances. Depuis ce temps jusqu’à nos jours, les écrits pour ou contre le kantianisme se sont prodigieusement accrus. Mais l’homme qui s’est le plus illustré parmi ses défenseurs est Reinhold, jeune professeur à l’université d’Iéna en Saxe, qui nous a donné une Théorie de la force représentative de l’âme, où, avec une méthode stricte, il éclaircit la démarcation que fait Kant des sources de nos connaissances, et où il donne des développements qui prouvent irréfragablement les vraies bornes de la certitude qu’il nous est possible d’avoir que les objets de nos perceptions, notions et idées, ont une existence réelle hors de notre esprit. Le même a donné deux volumes de Lettres sur la philosophie de Kant, où, d’une manière plus lumineuse et dans un style plus populaire, il fait voir quels appuis immuables cette philosophie prête aux dogmes de l’existence et des attributs de Dieu et de l’immortalié de l’âme, et aux vrais fondements de la morale. Pour le dire en passant, je désirerais qu’on pùt attirer cet homme à Strasbourg ; il s’est très bien prononcé sur la Révolution française dans ces mêmes Lettres.

Tu désirais dans ta lettre, cher ami, que Bl[essig] ou moi nous nous essayassions sur une esquisse de ce système critique. Eh bien, jacta esto alea ! Mon ami Bl. m’a encouragé d’entreprendre cette besogne. Dans quelque temps d’ici, je t’en enverrai un échantillon. Tu jugeras si, de la manière dont les têtes sont montées aujourd’hui en France, une pareille spéculation pourra attirer des lecteurs. Je sens qu’il faudra commencer par exciter l’appétit des philosophes sobres par les résultats.

Je t’embrasse de tout mon cœur.

Müller.
Strasbourg, ce 27 germinal an IV (avril 1796).
Mon digne et respectable ami,

…Je vois par les papiers publics que l’abbé Sieyès poursuit, à l’égard de la philosophie de Kant, le même projet que vous aviez autrefois entamé. Je ne puis que lui souhaiter un heureux succès ; mais, pour qu’il soit effectivement heureux, je me crois obligé par conscience de vous soumettre une réflexion. La philosophie de Kant, qui, avec une sagacité admirable et une terminologie assez entortillée, fait la critique et passe en revue les systèmes philosophiques, que jusqu’ici on a cru pouvoir déduire des principes de la raison pure (a priori), montre les illusions fréquentes nées du mélange des principes et de l’expérience. Selon lui, la raison pure est incapable de nous fournir une démonstration de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme ; il se rejette sur une foi ou une conviction intérieure fondée sur la loi morale.

Le respect pour ces vérités éternelles peut-être ne perd rien du tout, si l’on saisit le raisonnement de Kant dans son ensemble et dans son langage particulier ; mais sans ces deux conditions essentielles, je