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tiellement impropre à exprimer une saine politique et à faire parler dignement la philosophie. Je serais mortifié s’il m’était défendu d’augurer que les Français ne dédaigneront pas, après la paix, les communications littéraires avec une nation qui compte des philosophes originaux. La philosophie de Kant est encore inconnue en France, et elle mérite d’y être transplantée. Mais je brise là ; il y aurait matière à une longue épître si je voulais verser dans votre sein tous mes vœux et toutes mes doléances relatives à l’enseignement d’une saine philosophie spéculative…

Müller.
Strasbourg, le 22 frimaire an III de la Rép. [12 octobre 1794].

…Pour assurer aux progrès des lumières leur influence salutaire sur les principes et sur les ressorts de la morale et d’une saine religiosité, il nous faut une philosophie spéculative établie sur des bases qui tiennent contre les prestiges de l’athéisme, du matérialisme, du scepticisme, qui détruise le règne du Système de la Nature et de tous les systèmes qui tendent à avilir la nature humaine et à égarer les idées sur sa destination. Il nous faut une philosophie morale proprement dite, une ascétique philosophique, un droit naturel et un droit des gens où la vraie démarcation de ces différentes parties soit précisée, où le principe général de toute perfection morale soit mis en évidence et suivi méthodiquement dans toute la fécondité de ses conséquences.

C’est dans l’une et dans l’autre de ces parties que Kant a fait une réforme importante. Ce sont les doutes sceptiques que Hume a élevés contre la réalité de notre connaissance de la substance, de la cause, et de la nécessité de l’existence d’un être suprême qui ont provoqué et aiguisé la subtilité métaphysique du philosophe de Kœnigsberg. Il a déclaré tout court aux métaphysiciens de son temps que tous ils n’avaient fait, de même que leurs prédécesseurs et maîtres, que de l’eau claire ; que leur ouvrage était à recommencer sur nouveaux frais ; que le défaut radical de toutes les métaphysiques qui ont eu quelque vogue jusqu’ici, consistait en ce qu’elles n’ont pas su discerner les bornes et la véritable nature des fonctions de la faculté de connaître intuitivement par le sens intérieur et extérieur, par l’entendement, et les fonctions de la raison pure à laquelle il assigne sa sphère d’activité unique dans la formation des idées proprement dites.

Le premier ouvrage où il a donné les linéaments préformants de sa nouvelle théorie était une dissertation latine de quelques feuilles seulement, publiée en 1770, et qui n’a pas fait grande sensation. Il n’a donc reparu sur le théâtre philosophique qu’en 1781, où il a publié un assez volumineux livre en un volume in-8o, sous le titre Critique de la raison pure. Mais ce ne fut que deux ans après que ses adhérents et ses adversaires ont commencé à se mouvoir avec vigueur. Comme dans la première couvée de son nouveau système il n’a pas assez su éviter des défauts de clarté, il a donné en 1783 ses Prolegomena pour toute future métaphysique, où il s’est appliqué à lever des malenten-