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FRAGMENTS DE LETTRES INÉDITES RELATIVES PA LA PHILOSOPHIE DE KANT (1794-1810)


On croit généralement que la philosophie de Kant n’a pas été introduite en France du vivant de son auteur, mort octogénaire en 1804, et l’on cherche à expliquer ce fait, en disant que la marche foudroyante de la Révolution française ne permettait pas à nos pères de songer aux spéculations de la métaphysique. Aussi n’est-ce pas sans quelque surprise que j’ai trouvé, dans les papiers du conventionnel Grégoire, des lettres dans lesquelles il est parlé du kantianisme et de la Critique de la raison pure. Il est vrai que ces lettres sont datées de Strasbourg, et que leurs auteurs avaient enseigné la philosophie à l’université de cette ville ; mais on pourra se convaincre que le système de Kant, signalé par l’Alsacien Müller, excita la curiosité de Grégoire, puis celle de Sieyès, et bientôt sans doute celle de l’Institut, dont Grégoire et Sieyès faisaient partie.

Des quatre fragments qu’on va lire, deux sont du professeur Müller, mort au commencement de 1795, au moment même où, sur le conseil de Grégoire, il préparait un exposé du système de Kant ; les deux autres sont du célèbre théologien Blessig (1747-1816). C’est à Müller que revient l’honneur d’avoir initié ses compatriotes à la connaissance du système de Kant, et cela en Vendémiaire an III, six semaines après la chute de Robespierre, et alors que Blessig était encore incarcéré comme suspect de fédéralisme[1].

Je n’ai pas à rechercher si les jugements portés sur Kant par Müller et par Blessig sont bien exacts, c’est l’affaire des spécialistes ; qu’il me suffise d’établir, par la simple publication de ces fragments inédits, le moment précis où le système de Kant a pénétré en France, dix ans avant la mort du philosophe de Kœnigsberg, qui a pu le savoir et jouir ainsi de toute sa gloire.

A. Gazier.
Strasbourg, ce 6 vendémiaire an III de la Rép. [27 septembre 1794].

…Nos réformateurs à la Robespierre ont voulu proscrire tout à coup la langue allemande de notre ville ; ils ont cru que l’usage de cette langue doit rendre suspect d’intelligence avec les ennemis ; ils ont affecté de couvrir cette langue de mépris, comme si elle était essen-

  1. Cette lettre du 6 Vendémiaire est assez longue (huit pages in-4o) ; elle est fort belle à tous les points de vue et mériterait d’être publiée ; il en est de même de quelques autres lettres de Blessig, Saltzmann, Petersen, Graf, Oberlin, Maeder, Pfeffel et autres protestants du Haut et du Bas-Rhin, admirateurs et amis de l’évêque Grégoire.