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les expérimentateurs ont déclaré que le cercle semblait se contracter quand on retirait l’écran.

Nous devons dire que cette expérience ne nous paraît rien expliquer, car elle renverse à peu près les conditions naturelles : l’irradiation faisant paraître un objet lumineux plus grand qu’un objet égal plus obscur, il est tout simple qu’elle soit réduite par l’illumination de la rétine au moyen d’une autre source lumineuse. Ce que M. Stroobant eût dû faire, c’eût été de faire varier l’intensité lumineuse de son cercle en changeant le nombre des papiers huilés interposés, et alors il eût sans doute constaté que le cercle plus lumineux semblait plus grand, de même que, quand on observe la lumière cendrée de la lune, le croissant lumineux semble appartenir à un cercle de plus grand diamètre[1]. Il est vrai qu’il a fait une expérience plus ou moins analogue en apparence, comparant au cercle à demi obscur un autre cercle au travers duquel on voyait une flamme, et ce dernier paraissait plus petit, pourvu qu’on interceptât toute lumière de la flamme au moment où l’on regardait le cercle peu lumineux. Cette expérience n’est point probante, car, d’une part, la vue directe de la flamme était de nature à réduire l’irradiation du cercle à travers lequel on l’apercevait, et, d’autre part, on favorisait au contraire l’irradiation de l’autre cercle par la suppression de toute autre lumière quand on le regardait. Peut-être nous trompons-nous quand nous croyons qu’une flamme était vue directement à travers l’un des cercles, car le texte n’est pas très clair ; dans ce cas, l’expérience aurait eu de la valeur, mais, en la répétant, il faudrait bien examiner si, avec l’éclairage le plus vif, on ne se rend pas compte de la distance du cercle, par suite d’une légère illumination des objets environnants, tandis que la position du cercle peu lumineux resterait indécise : il est fort possible que la question de la distance apparente, qu’il s’agissait précisément d’éliminer, s’introduise subrepticement dans ces expériences.

La discussion qui précède était écrite, quand l’éclipse totale du 28 janvier dernier nous a donné l’occasion de contrôler la valeur de l’argumentation de M. Stroobant ; si celle-ci est juste, le disque rougeâtre de la lune devait sembler grossi ; or il n’en était rien assurément, et nous pouvons même ajouter qu’une personne sans idée préconçue nous a fait spontanément la remarque que la lune paraissait très petite, ce qui est bien d’accord avec nos prévisions et tend à montrer que la théorie de Berkeley n’est pas fondée.

En résumé, les objections de MM. Houzeau et Stroobant contre la théorie de la distance apparente ne nous paraissent pas convaincantes ; mais les observations du dernier sur l’influence de la position de la tête relativement à l’estimation des grandeurs semblent bien établir que cette

  1. En observant le soleil à travers un brouillard léger, nous avons vu son disque diminuer sensiblement, le brouillard venant à s’épaissir. Il est fort possible, d’ailleurs, que dans d’autres circonstances on observe un effet inverse, en raison des questions de distance apparente.