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ANALYSES.w.-m. salter. Die Religion der Moral.

ne diffère des autres fables que parce qu’elle est crue religieusement. Le fondement véritable de la représentation de Dieu au sens large du mot repose dans la conception philosophique, on pourrait presque dire scientifique, du monde physique comme d’un monde d’apparences, d’une série d’effets qui suppose un autre ordre d’existence placé derrière ou au-dessus du premier. Il existe plus de choses que nous ne pouvons en voir ou en découvrir avec les sens les plus complets ; il y a une espèce de l’être qui ne peut être saisie que par la pensée de l’homme. Mais la conception de cet ordre suprême n’est pas un savoir ; nous pouvons sinon le connaître directement, au moins nous en faire une image qui d’ailleurs ne saurait être exacte ; nous savons exclusivement qu’il existe, qu’il est le support, le principe de tout ce que nous apercevons de divers et de merveilleux dans notre monde ; mais il n’est ni nécessaire ni permis de l’appeler une personne, de lui appliquer aucune des expressions valables pour les relations ou l’expérience humaines. Cette doctrine n’est assurément pas de l’athéisme, mais c’est aussi peu du théisme si elle ouvre l’esprit et si elle satisfait l’âme, qu’importe ? Notre tâche est, en renonçant à toutes les fables (Fabeln Märchen), de placer notre confiance dans la représentation la plus haute du Bien et du Juste, de montrer que la morale peut se maintenir aussi bien et même mieux sans les fables qu’avec elles, qu’elle peut donner à la vie un emploi et un développement qu’elle n’a jamais eus. La cause du bien, croyons-nous, est dans les mains de ceux qui renoncent à tout appel aux Dieux ; notre confiance dans les Dieux, si l’on peut employer une telle expression, suppose seulement qu’ils ont ordonné les choses de manière que la cause du bien puisse triompher. La lutte n’est pas sans espoir, la nature des choses n’est pas contre nous, mais pour nous !

Le mouvement moral, dit Gizycki, est encore récent ; a-t-il l’avenir pour lui ? C’est ce que nous demandons également, tout en inclinant à croire, d’après ce qui s’est passé depuis un demi-siècle, que cette nouvelle forme de morale indépendante pourrait bien rencontrer en Amérique, pendant un certain temps, un succès analogue à celui du criticisme en France.

F. Picavet.

Eduard Hertz. Voltaire und die französische Strafrechtspflege im achtzehnten Jahrhundert, Stuttgart, Encke, 1887, vi-530 pages.

Voltaire est peu étudié, peu lu même en France par les philosophes, qui le trouvent superficiel et peu original. Par contre, il est fort goûté en Allemagne : non seulement Louis Börne et Henri Heine, mais Strauss et Dubois-Reymond, Lange et Hettner l’ont salué comme un maître, dont les doctrines ont déterminé, avec la Critique de Kant, le mouvement de la philosophie contemporaine[1]. Lange a même vu avec raison dans

  1. Voy. Gérard, Rev. ph., III, 441.