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ANALYSES.r. eucken. A. Comte und der Positivismus.

l’autre ont une confiance excessive dans les institutions artificielles. Nordau, en dépit de son naturalisme, accuse notre organisation sociale d’être artificielle, et, au lieu de nous montrer par quelles transformations graduelles elle peut s’améliorer, sous la pression même des exigences sociales, il en préconise, semble-t-il, le renversement pur et simple. M. H., avec la même foi dans l’efficacité des systèmes, conclut inversement qu’il faut s’en tenir aux idées et aux institutions anciennes, ou y revenir. M. Nordau, révolutionnaire, dans le livre même où il croit constater à chaque page le retard des institutions sur les idées, semble méconnaître la nécessité de ce retard, et vouloir que les deux choses marchent de pair, oubliant que, si les institutions survivent aux idées d’où elles émanent, il n’y a pas non plus d’institutions solides tant que les idées correspondantes n’ont pas pénétré profondément dans l’organisme social, et ne se sont pas assimilées sous forme d’habitudes et de croyances. M. Hölscher, conservateur, croit qu’il est possible de résister artificiellement à la marche des idées, et de restaurer par décret la foi en des institutions que l’on sent vaguement être ébranlées, oubliant qu’on ne peut, ni ne doit, à son propre point de vue surtout, supprimer ce facteur essentiellement humain, mais non pour cela artificiel, moral, mais non pour cela nécessairement désordonné, du progrès social : la conscience d’un idéal qui tend à se réaliser et dont la pensée même accélère l’avènement.

G. Belot.

Rudolf Eucken. Comte und der Positivismus. Iéna, 1887, in-8o.

Le système de Comte, dit Eucken, qui a été en France un facteur de la civilisation, commence à attirer plus fortement l’attention en Allemagne. C’est le moment de l’examiner, de se prononcer pour ou contre lui. Or Comte donne ses doctrines comme l’expression pure et simple de l’expérience : l’expérience est-elle bien réellement la seule source à laquelle il ait puisé ? Il prétend avoir lié, dans une étroite connexion, tout le contenu de l’expérience : son système forme-t-il en vérité un tout homogène ? Il croit embrasser toute la réalité du développement historique : n’a-t-il pas laissé en dehors de son système des parties importantes, peut-être même les plus importantes ? Telles sont les trois questions que se pose M. Eucken au sujet du positivisme. Il ne croit pas que cette doctrine puisse sortir victorieusement d’une telle épreuve, et lui adresse des objections qui, dans l’ensemble, sont analogues à celles que lui avaient déjà adressées en France M. Caro et la plupart des spiritualistes. Contre l’essor icarien (Ikarusfluge) de la spéculation et la subtilité qui creuse à la façon des taupes (den Maulwurfsgängen grübelnden Scharfsinns), la philosophie a besoin, dit M. Eucken, d’être en relation directe avec la réalité, de s’unir étroitement avec l’ensemble de la vie humaine ; en ce sens elle doit être positive. Mais si un tel