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Pour un peu suspect que puisse paraître le naturalisme de M. H., il ne s’en affirme pas moins.

Un premier chapitre étudie d’une manière générale ce que devient l’homme dans le naturalisme scientifique (Die naturwissenschaftliche Weltansicht). Nos institutions, suivant Nordau, seraient en contradiction avec cette conception de l’univers, et par suite nous serions constamment obligés de jouer une comédie qui souvent tourne au tragique. Pourquoi, demande M. H., cette soi-disant nécessité de l’hypocrisie ? Les premiers chrétiens se croyaient-ils obligés de jouer la comédie et de sacrifier aux dieux ? Comparaison fautive, à notre avis. Les chrétiens acceptaient l’ordre social établi ; ils ne se sont pas même attaqués à l’esclavage. Leur foi était purement religieuse. Autre chose est de confesser une foi individuelle, autre chose de réformer des institutions ou de créer de nouvelles habitudes sociales. Nos sociétés laïques ne demandent point des professions de foi, mais réclament naturellement le respect de l’ordre établi. Les naturalistes ne dissimulent point leurs convictions, mais ils sont bien forcés, à moins de révolution, de se soumettre à une organisation sociale que M. Nordau croit, à tort ou à raison, incompatible avec leurs idées.

M. H. ajoute que le naturalisme va contre les faits en déniant à l’homme tout privilège dans la nature. Sans doute ; mais ne déplace-t-il pas la question ? Le naturalisme ne nie point la supériorité des facultés humaines ; il nie seulement qu’elles aient une origine, une essence surnaturelles. Il ne veut pas qu’on fasse l’homme, comme le ut M. H. (p. ex. pp. 39, 46) un être à part dans la nature, aux fins duquel on considère la nature, tantôt comme totalement étrangère, tantôt comme entièrement subordonnée ; car, par une contradiction trop peu remarquée, le supra-naturalisme mêle constamment l’idée de la finalité anthropocentrique de la nature à l’affirmation des destinées extra-terrestres de l’homme. Mais il n’y a pas besoin, pour être naturaliste, de nier que l’homme pense et parle. Ses avantages, il les conserve ; mais, si l’on veut une comparaison qui touche de près le sujet, ils sont, pour le naturalisme, ce que sont les supériorités naturelles dans une démocratie, au lieu de ressembler aux privilèges arbitraires d’une société aristocratique.

Dans son second chapitre, M. H. examine la place de la religion dans le naturalisme. Prenant acte d’un aveu de son adversaire, il déclare que, si la religion est un fait universel dans l’humanité, le vrai naturaliste devra considérer ce besoin comme naturel, et à ce titre lui accorder la même légitimité qu’à tout autre.

Il y a d’abord ici, dans l’emploi du mot naturel, une ambiguïté analogue à celle qui a induit M. Renouvier à prétendre que le déterminisme rendait la vérité et l’erreur « indiscernibles ». L’erreur et la vérité, la maladie et la santé sont également naturelles en ce sens qu’elles ont également des causes déterminantes naturelles. Mais cela ne rend pas l’erreur aussi vraie que la vérité ni la maladie aussi dėsi-