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recule, attirant la pensée qui ne se lasse pas de le poursuivre, et à qui cette poursuite donne plus de joie peut-être qu’une possession définitive. Nous expliquons les couleurs par des vibrations d’atomes d’éther ; nous expliquons l’atome par la force, mais comprenons-nous la force ? Et si nous l’expliquions elle-même par autre chose, ne faudrait-il pas expliquer cette explication nouvelle ? Et l’impossibilité de tout déduire de nos idées n’est-elle pas une des plus fortes preuves que les choses sont substantiellement distinctes de nous ?

J’ai longuement insisté sur le chapitre consacré par M. Lyon à Descartes ; je serai beaucoup plus bref sur le reste. Le chapitre qui concerne Malebranche est peut-être le plus remarquable du livre ; on sent que l’auteur a une particulière tendresse pour ce génie subtil et élevé. Je signalerai pourtant à M. Lyon une légère inexactitude. Malebranche, dit-il, n’admet la réalité du monde extérieur que d’après l’autorité de la révélation. Or, si je comprends bien Malebranche, il accepte pleinement l’argument cartésien que Dieu ne peut être trompeur et que le témoignage de notre nature qui affirme l’existence objective de l’univers, est de soi légitime ; seulement cette nature a été corrompue par la chute originelle, et l’homme n’est plus, comme l’était Adam, maître du cours des esprits animaux. Il résulte de ce désordre que nous prenons souvent pour signes d’objets extérieurs des mouvements d’esprits excités malgré nous dans le cerveau. À la fin du vie entretien sur la métaphysique, l’existence des corps en général est affirmée avec une précision et une force qui laissent peu à désirer. Enfin il admet que le mouvement a été créé par Dieu en même temps que l’univers, proposition très réaliste et qui reproduit la pure doctrine de Descartes.

Je serais encore en dissentiment avec M. Lyon sur l’interprétation qu’il convient de donner à la Siris. Il n’y voit qu’un développement plein de grandeur de l’immatérialisme exposé par Berkeley dans ses premiers ouvrages. À nos yeux, elle est une tentative pour expliquer la vie et son origine. La théorie du feu ou de l’éther a, selon nous, un caractère fort réaliste, qui contredit la thèse fondamentale des Principes de la connaissance humaine et des Dialogues. Ce n’est pas le lieu de justifier cette explication ; nous avons essayé de le faire ailleurs[1].

Je ne pousserai pas plus loin l’examen du livre de M. Lyon. Si j’en ai discuté avec détail quelques assertions, c’est qu’il est de valeur, et je ne pouvais lui rendre un plus sincère hommage. Il est parmi ceux qui font le plus d’honneur à notre jeune Université.

L. Carrau.

  1. V. notre Philosophie religieuse en Angleterre, depuis Locke jusqu’à nos jours, ch.  Ier.