Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/622

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
612
revue philosophique

cause, puis sur notre constitution telle qu’elle a été établie par Dieu, se distingue profondément de tous les préjugés que la réflexion et la science dissipent. La théorie cartésienne suppose la création continuée d’un certain agencement des choses, et dans l’homme, de certaines tendances innées, pratiquement irrésistibles, et dont la légitimité s’atteste par leur permanence et leur universalité. L’erreur vient du jugement, qui affirme au delà ; elle est redressée par le critérium de l’idée claire et distincte, et n’est jamais qu’accidentelle. En définitive, Descartes soutient la cause du bon sens. Il faut bien faire en philosophie une part à la nature, à la croyance instinctive. Cette croyance, quand elle a pour objet une existence aussi constamment, aussi manifestement affirmée que celle d’un monde extérieur, lui paraît emporter une certitude égale en fait, sinon en théorie, à celle de l’évidence immédiate, ou de l’évidence indirecte qui résulte de la démonstration.

Mais ne l’oublions pas : cela seul, pour Descartes, est réel dans ce monde extérieur, qui est conçu clairement et distinctement ; c’est à savoir l’objet de la pura mathesis, l’étendue et le mouvement. « Nous concevons cette matière (l’étendue), dit-il dans les Principes, comme une chose différente de nous-mêmes et de notre pensée. » « Le mouvement, dit-il encore, a été créé directement par Dieu avec la matière ainsi que le repos. » Le doute de Descartes, ou plutôt sa négation, ne porte que sur l’existence dans les choses des qualités secondes, saveur, couleur, etc., et encore elles y sont, mais non semblables aux idées sensibles que nous en avons. Elles y sont en tant que mouvements et figures de retendue. Elles se ramènent à des modifications de cette chose qu’étudie la géométrie. Ce qui, dans les corps, excite en nous quelque sentiment, ce sont a les diverses figures, situations, grandeurs et mouvements de leurs parties ». Le réaliste le plus déterminé n’en demande pas davantage, sauf peut-être qu’il ajoutera, avec Leibniz, la force. Et encore Descartes parle de la « force dont les parties (de la matière) étaient mues au commencement, et qui continue en elles par après ».

Ce monde purement géométrique et mécanique fut accusé par Gassendi d’être tout subjectif. M. Lyon, qui cite l’intéressant passage des instances aux cinquièmes objections, ajoute : « Suppose-t-on que Descartes s’émeuve d’une insinuation de ce genre ? Loin de là, fait observer un de nos maîtres, « il ne se soucie pas de l’objection ; il la prend ironiquement ; on voit qu’il entend que l’intelligible est seul. Il la considère comme un compliment. » — Personne plus que moi n’est prêt à s’incliner devant la haute autorité dont on invoque ici le témoignage ; mais pourquoi ne pas citer la réponse de Descartes lui-même ? « Voilà, dit-il, l’objection des objections, et l’abrégé de toute la doctrine des excellents esprits qui sont ici allégués. Toutes les choses que nous pouvons entendre et concevoir ne sont à leur compte que des imaginations et des fictions de notre esprit qui ne peuvent avoir aucune substance, d’où il suit qu’il n’y a rien que ce qu’on ne peut aucunement entendre,