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ceptions intellectuelles que le premier acceptait. Mais ils conviennent l’un et l’autre en ceci d’essentiel : point de morceau de cire que pour un esprit. »

Pour arracher cet aveu aux paroles de Descartes, il faudrait les presser, ou plutôt les torturer au point de leur faire dire toute autre chose que ce qu’elles veulent dire. Descartes s’est attaché simplement à montrer que la cire réelle, substantielle, n’est pas ce que les sens ou l’imagination nous présentent, mais ce que l’entendement conçoit. La connaissance de la substance est un acte proprement intellectuel ; mais cet acte saisit une réalité objective, tandis que les sensations de couleur, de saveur, etc., ne sont que dans l’âme. Loin donc qu’on puisse attribuer aux paroles de Descartes une signification idéaliste, il est impossible de n’y pas voir l’affirmation la plus nette d’une substance matérielle qui n’est pas l’esprit (lequel est inétendu), mais que l’esprit seul connaît.

L’objet de la troisième méditation n’est pas, comme M. Lyon paraît le croire, de savoir si la matière existe ou non en dehors de l’esprit, mais si les choses sensibles ressemblent aux idées que nous en avons, et si les idées des qualités sensibles correspondent à des réalités distinctes du moi. Descartes, il est vrai, dit, en parlant de l’étendue, que l’idée en peut être contenue en moi éminemment, et être ainsi produite par moi, bien que la puissance que j’ai de produire cette idée ne me soit pas connue ; c’est là une objection grave et qui, si elle était solide, conduirait assez directement à l’idéalisme ; mais Descartes ne peut s’arrêter à cette hypothèse. Pour lui, l’âme n’est rien qu’une chose qui pense ; par suite, elle doit connaître tout ce dont elle est capable ; et si elle l’était de produire l’idée de l’étendue sans qu’il y eût aucune étendue réelle dont cette idée fût l’expression, elle le saurait. Il en est de ceci comme du pouvoir par lequel je pourrais faire que moi, qui suis maintenant, je fusse encore un moment après ; si une telle puissance résidait en moi, certes je devrais à tout le moins le penser et en avoir connaissance : mais je n’en ressens aucune dans moi, et par là je connais évidemment, etc. »

Quant à la sixième méditation, où la question de l’existence des choses matérielles est nettement posée, il ne me semble pas que M. Lyon en ait donné une idée parfaitement exacte. L’analyse qu’il en présente ne fait pas ressortir toute la force et toute la délicatesse de la démonstration cartésienne ; aussi peut-il aisément conclure que cette insuffisante démonstration ne saurait avoir contenté Descartes et que l’idéalisme est le fond, sinon de sa pensée, au moins de son système.

Suivons pas à pas la marche savante de la déduction dans la sixième méditation ; nous verrons que la preuve, compliquée je l’accorde, a de quoi, malgré tout, satisfaire les plus exigeants.

Descartes établit :

1o Qu’il y a une distinction absolue des essences, répondant à une distinction possible des substances, si celles-ci existent.