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ANALYSES.g. lyon. L’idéalisme en Angleterre, etc.

tout le monde, il ne me paraît pas qu’on ait le droit de lui prêter des intentions secrètes, de solliciter les textes les plus clairs pour les tirer à une doctrine qu’ils répudient. M. Lyon sait bien, et il ne le dissimule pas, que Descartes tient en définitive pour la réalité du monde extérieur ; mais, selon lui, ce réalisme manque de sincérité ; un scrupule seul (peut-être la crainte d’être taxé d’hérésie ?) l’empêche d’être explicitement idéaliste ; ses preuves en faveur de la réalité d’une substance matérielle sont d’une faiblesse telle qu’il n’a pu ne pas en avoir le sentiment et qu’on ne peut supposer un instant qu’il s’en soit contenté. Leur faiblesse même, jointe à la force invincible des objections qu’elles ont l’apparente prétention de réfuter, suffit à établir que Descartes est idéaliste de cœur et d’intime conviction.

Tel n’est pas notre avis, et nous croyons servir la vérité et les intérêts de la saine méthode historique, en combattant pied à pied cette thèse de M. Lyon.

Selon M. Lyon, le doute méthodique, qui porte principalement sur l’existence des corps, serait plus sérieux et plus sincère dans les Méditations que dans le Discours. — C’est là une impression que rien ne justifie. M. Lyon ajoute que la question de l’existence du monde extérieur n’est pas expressément posée dans le Discours avant le Cogito. Elle l’est en propres termes : « Considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, etc. » ; de quoi peut-il s’agir ici, sinon de la valeur objective des représentations sensibles ? Et quant aux Méditations, Descartes sans doute y discute longuement le problème de l’existence des objets matériels, mais pas un instant il ne laisse croire que cette existence soit par lui rejetée. « Toutes les erreurs qui procèdent des sens y sont exposées (dans la sixième méditation) avec les moyens de les éviter, et enfin j’y apporte toutes les raisons desquelles on peut conclure l’existence des choses matérielles. Non que je les juge fort utiles pour prouver ce qu’elles prouvent, à savoir, qu’il y a un monde, que les hommes ont des corps, et autres choses semblables, qui n’ont jamais été mises en doute par aucun homme de bon sens, mais parce qu’en les considérant de près l’on vient à connaître qu’elles ne sont pas si fermes ni si évidentes que celles qui nous conduisent à la connaissance de Dieu et de notre âme. »

Mais, dit-on, ces prétendues preuves sont si faibles que Descartes n’a pu de bonne foi les juger satisfaisantes ; n’avoue-t-il pas lui-même, dans l’analyse célèbre du morceau de cire, que quand on distingue la cire d’avec ses formes extérieures, et qu’on la considère toute nue, on ne la peut concevoir de cette sorte sans un esprit humain ? Et M. Lyon de conclure : « Combien il serait aisé, en pressant un peu ces riches paroles, d’y reconnaître un sens bien voisin du subjectivisme qu’exposera le Traité de Berkeley de la connaissance humaine ! Sans doute les deux écrivains diffèrent en ce que le second niera ces sortes de per-