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la solidité ne résisterait pas à l’épreuve d’une discussion sérieuse. Mais cette discussion, je n’y veux pas entrer. Le caractère de l’ouvrage de M. Lyon est surtout historique : c’est sur le terrain de l’histoire que je prétends me tenir avec lui.

À ce point de vue, je ne saurais entièrement accorder à M. Lyon que le cartesianisme soit l’unique ni même la principale source de l’idéalisme anglais au xviiie siècle. Sans sortir de l’Angleterre, j’y trouve deux courants qui tout autant, mieux même que l’influence cartésienne, devaient conduire logiquement à la négation de la réalité absolue et objective du monde extérieur. Le premier, c’est le courant sensualiste, avec Bacon et Hobbes. On sait l’admiration de Bacon pour Démocrite, le premier peut-être qui ait nettement affirmé la subjectivité des qualités secondes : νόμῳ γλυκύ, νόμῳ πικρόν. Quant à Hobbes, à peine mentionné par M. Lyon et dont l’action fut si puissante sur la pensée anglaise, il fait explicitement profession de foi idéaliste. On ne saurait d’ailleurs méconnaitre les affinités étroites du sensualisme avec une doctrine qui nie la réalité des substances.

L’autre courant est celui qui pénètre la philosophie anglaise par les platoniciens de Cambridge, et qui dérive, selon toute probabilité, du platonisme de la Renaissance. C’est à cette influence mystique que j’attribuerais volontiers la curieuse théorie de l’esprit mosaïque, dans Burthogge, l’idée mondaine de Norris, les archées de Collier et l’inspiration de la Siris de Berkeley. Le platonisme, qui atténue la réalité des objets sensibles au point de la réduire pratiquement à rien, préparait merveilleusement la voie à l’idéalisme anglais du xviiie siècle.

Ainsi deux tendances aussi opposées que possible, la tendance sensualiste et la tendance platonicienne, semblent converger vers l’immatérialisme de Berkeley et de Hume, et suffisent, sans qu’il soit besoin de sortir de l’Angleterre, pour en expliquer l’avènement. Je ne nie pas, bien entendu, l’influence de la philosophie cartésienne sur la pensée anglaise ; elle est attestée par des témoignages nombreux, authentiques, remarquablement groupés et mis en leur meilleur jour par M. Lyon. Je conteste seulement que cette influence ait été aussi exclusive ou même aussi prépondérante qu’il paraît au savant historien. Il y a là une question de mesure, délicate sans doute, mais qui valait la peine d’être soulevée.

Si d’ailleurs Descartes et surtout Malebranche exercèrent une action considérable sur les méditations d’un Norris, d’un Collier, même d’un Berkeley, il ne s’ensuit pas, comme le voudrait M. Lyon, que Descartes ait été un idéaliste d’intention, ni même qu’il soit légitime de faire de l’idéalisme une conséquence rigoureuse de ses principes. J’insisterai sur ce point, parce qu’il y a là, selon moi, toute une méthode d’exposition et d’interprétation à discuter.

Quand un homme comme Descartes a dit avec une netteté et une précision incomparables ce qu’il a voulu dire ; quand ses œuvres les plus importantes, celles où il a exprimé sa vraie pensée, sont aux mains de