Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
603
ANALYSES.ed. perrier. Le transformisme.

aller du connu à l’inconnu ; or le connu n’est pas toujours le plus simple ; et l’homme même, qui est à coup sûr l’être vivant le mieux connu de tous, est aussi probablement le plus complexe. Or vouloir expliquer tous les animaux par l’homme et les êtres qui en approchent le plus, c’est s’interdire absolument toute explication véritable et limiter d’avance toute la science à des comparaisons plus ou moins légitimes. Les partisans les plus convaincus de l’unité de plan de composition n’ont jamais, il est vrai, voulu retouver partout une exacte copie de l’homme ; mais, suivant M. Perrier, « l’étude des animaux inférieurs étant venue révéler une foule de phénomènes absolument imprévus, on s’est d’abord préoccupé de chercher quels rapports ils pouvaient offrir avec les phénomènes plus ou moins différents observés déjà chez les vertébrés et les animaux qui s’en rapprochent le plus ». La méthode suivie par M. Perrier consiste au contraire à profiter de tout ce qu’on sait de plus certain sur les animaux inférieurs et à chercher « s’il existe un phénomène élémentaire qui puisse être considéré comme un facteur essentiel de la complication organique et qui puisse permettre de remonter des formes simples aux formes les plus élevées, par une suite ininterrompue de stades conséquences nécessaires les uns des autres ».

Ce phénomène élémentaire, M. Perrier le trouve dans ce qu’on a appelé jusqu’ici la génération agame, la reproduction par division, le bourgeonnement. Les êtres unicellulaires, les plastides, une fois arrivées à certaines dimensions, qu’elles ne peuvent pas dépasser, jouissent de la propriété de produire, en se divisant, d’autres êtres semblables qui tantôt se détachent pour mener une vie indépendante, tantôt restent plus ou moins étroitement unis aux plastides qui leur ont donné naissance. Ce phénomène se manifeste également au plus haut degré chez les formes animales inférieures qui peuvent donner naissance, par la multiplication des éléments qui les composent, à des bourgeons formés à peu d’exception près des mêmes tissus : ces bourgeons de leur côté peuvent s’arrêter plus ou moins tard dans leur développement, ils peuvent rester fixés à l’animal dont ils proviennent ; ils peuvent aussi se détacher et former des individus complètement distincts. Dans tous les cas, cette propriété générale du bourgeonnement, s’appliquant à tous les êtres vivants, permet de concevoir d’une manière simple le mécanisme de la production des formes les plus diverses. Ainsi un animal déjà formé de parties issues du bourgeonnement de l’une d’entre elles peut être le siège des mêmes phénomènes, et de la sorte se forment les colonies plus ou moins compliquées dont l’individualité, comparée à celle des animaux supérieurs, a soulevé tant de discussions. Or M. Perrier, au lieu de chercher à expliquer ces organismes par une telle comparaison, leur demande au contraire l’explication de l’organisation et du mode de développement des termes supérieurs des différentes séries dans lesquelles se décompose le règne animal.