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sont mal représentées dans la nature actuelle. Après la publication de l’Origine des espèces, Darwin poursuit la démonstration de sa doctrine, dans ses ouvrages sur la Variation des animaux et des plantes sous l’action de la domestication, sur les Effets de la fécondation directe ou croisée dans le règne végétal, sur les Différentes formes de fleurs dans les plantes de la même espèce. Il étudie même les phénomènes communs aux animaux et aux végétaux ; et enfin, dans celui de ses traités qui eut peut-être le plus de retentissement, il aborde le problème si passionnant de la Descendance de l’homme. Quelle que soit la supériorité de son organisation et de son origine, l’homme n’a pas pour Darwin une essence, une origine différentes de celles des animaux : il descend d’une forme inférieure à lui-même ; il présente des organes rudimentaires, des anomalies, des variations dont l’existence serait inexplicable si l’on ne les comparait à des organes homologues capables de fonctionner chez d’autres mammifères, et qui présentent tous les caractères propres aux phénomènes d’atavisme. Toute particularité organique, toute faculté de l’âme, chez l’homme civilisé, trouve son homologue, à un degré quelconque, dans une espèce animale, ou bien, si elle lui est rigoureusement spéciale, elle fait défaut dans les races humaines inférieures ou dégénérées, et s’offre comme un résultat de la civilisation. En somme, l’homme descend, selon Darwin, d’une souche voisine de celle qui a produit les singes, et particulièrement les singes de l’ancien continent. Ceux-ci dérivaient probablement des Lémuriens et par là des Marsupiaux et des Monotrèmes. On remonterait ensuite par les Reptiles et les Batraciens jusqu’aux Poissons. Darwin ne pouvait guère, vu l’état encore peu avancé des études embryogéniques à son époque, présenter avec beaucoup de précision la généalogie des Vertébrés, et surtout remonter au delà de ce groupe dans la série des ancêtres de l’homme. Il s’applique de préférence à examiner les transitions entre notre espèce et les espèces les plus voisines, et à déterminer l’origine des races humaines, dont il attribue la formation à un facteur dont la puissance s’étend bien au delà de l’espèce humaine, à la sélection sexuelle.

« Ainsi, dit M. Perrier, jusqu’à la fin de sa vie, Darwin ne cesse de perfectionner son œuvre, de l’étayer d’arguments nouveaux, où apparaît toujours plus étonnante la merveilleuse sagacité de son esprit. » C’était bien là en effet la grande préoccupation de l’illustre savant : établir sur une base inébranlable le principe fondamental de toute sa théorie, la variabilité des espèces. Il avait senti que c’était là qu’il fallait chercher la clef de voûte de tout l’édifice, et que, cette vérité une fois admise, toutes les théories que l’on pouvait émettre ou qu’on avait déjà présentées pour expliquer la constitution des êtres vivants trouvaient un point d’appui solide si elles contenaient une part de vérité. De là vient l’influence considérable et légitime des idées darwiniennes sur l’esprit des naturalistes et des philosophes de notre époque.