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LECHALAS.l’agrandissement des astres a l’horizon

rience au moyen d’un tube qui ne permet d’apercevoir que l’astre[1] ; mais M. Stroobant invoque précisément en sens contraire l’expérience du verre enfumé, et M. Houzeau dit que, si l’on cache les objets se trouvant dans la direction du soleil, le disque est encore grossi à peu près comme auparavant. Nous croyons que ces contradictions s’expliquent par certaines négligences dans l’observation, négligences contre lesquelles on est mis en garde par Malebranche lui-même ; voici en effet ses propres expressions : « Je dis donc qu’avec un tel verre plus ou moins enfumé, on verra le soleil et la lune sensiblement de la même grandeur dans quelque situation qu’ils soient, pourvu que ce verre soit tout proche des yeux, et qu’il éclipse entièrement le ciel et les terres. Je dis entièrement. Car, pour peu qu’on entrevît le ciel et les terres, ce verre ne changerait point les apparences de grandeur du soleil[2] ». Nous pensons qu’on doit se défier notamment de l’illumination de l’atmosphère autour du soleil, illumination qui suffit à donner le sentiment d’une grande distance. Nous avons constaté, du reste, la diminution de grosseur à travers un verre enfumé ; mais l’observation est assez délicate, parce qu’à chaque éclat de l’astre doit répondre un obscurcissement précis : un peu trop mince, la couche de noir de fumée laisse voir le ciel et les terres, comme dit Malebranche ; un peu trop épaisse, elle ne permet plus de bien distinguer l’astre.

Nous n’avons examiné jusqu’ici que les objections élevées contre les théories classiques au moyen des expériences usuelles : M. Stroobant en produit une autre qui lui paraît constituer une réfutation définitive de la théorie de la distance apparente. Pour reconnaître cette distance, Plateau avait eu l’ingénieuse idée de se servir de la variation de l’image négative avec la distance de l’objet sur laquelle on la projette. « Choisissons, dit Plateau, à l’époque de la pleine lune, un lieu d’observation suffisamment découvert, mais où se trouve au moins un mur éclairé soit par la lune soit par des réverbères. Si le ciel est serein, tenons les yeux fixés pendant quelque temps sur l’une des taches de l’astre située vers le centre de celui-ci, puis tournons-nous rapidement vers le mur en question, pour y projeter l’image accidentelle sombre du disque lunaire. Si cette image nous paraît plus petite que l’astre, éloignons-nous davantage du mur ; rapprochons-nous, au contraire, si elle nous paraît plus grande, et recommençons l’expérience jusqu’à ce que nous jugions qu’il y a égalité entre les deux diamètres. Cette égalité exige évidemment que nous rapportions l’image accidentelle à la même distance que l’astre ; il ne restera donc plus alors, pour avoir la distance à laquelle nous rapportons la lune, qu’à mesurer celle qui nous sépare du mur[3] ». Plateau a obtenu ainsi 51 mètres, la lune étant assez élevée

  1. Voir Les Sens et l’Intelligence de Bain, traduction Cazelles, p. 350 (note).
  2. Réponse à M. Régis, à la suite des éclaircissements à la « Recherche de la Vérité. »
  3. Bulletins de l’Académie de Belgique, année 1880, tome XLIX, p. 316.