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ANALYSES.ed. perrier. Le transformisme.

dans l’antiquité, au moyen âge, au xviiie siècle, au commencement de notre époque, y est exposée avec assez de détails pour que l’auteur ait pu se contenter de la résumer brièvement dans les deux premiers chapitres du livre actuel. Il aborde donc presque immédiatement l’histoire des travaux de Darwin et dépeint en quelques pages « cet infatigable chercheur, ce penseur qui a su demeurer vingt ans impassible comme un Dieu, au milieu de la tempête qu’il avait déchaînée… » Il recherche et met en relief l’ordre logique qui a présidé aux études de l’illustre réformateur des sciences naturelles. Le premier ouvrage de Darwin est le Voyage d’un naturaliste autour du monde, dans lequel il résume les nombreuses observations qu’il avait faites de 1831 à 1834 à bord du Beagle. C’est là un ouvrage capital au point de vue philosophique, car toute la vie scientifique de l’auteur s’y trouve déjà comme jalonnée. La formation des madréporiques y trouve une explication qui fut admise sans conteste jusqu’à ces dernières années ; les mutations des espèces y sont nettement indiquées, et l’on peut dire que, durant toute sa vie, Darwin continue, en élevant sans cesse sa pensée, le voyage autour du monde, qui avait fait éclore tant d’idées fécondes dans son esprit de vingt ans.

Cependant, pendant de longues années, l’éminent observateur se recueille ; il accumule les patientes recherches, les observations et les expériences les plus variées et les plus précises. Enfin, en 1859, le géologue ingénieux, l’habile anatomiste se révèle profond philosophe : il coordonne tous ses résultats et en tire de toutes pièces la théorie de la sélection naturelle et de la lutte pour la vie dans son livre à jamais célèbre, l’Origine des espèces. Darwin se réservait, d’ailleurs, après avoir exposé l’ensemble de ses théories, d’en reprendre point par point la démonstration, d’accumuler les preuves à l’appui de chacune des lois qu’il énonçait, dans des écrits spéciaux qu’il ne cessa de publier jusqu’à sa mort.

Darwin établit qu’entre les hybrides issus de l’union de deux animaux d’espèce différente et les métis, issus de deux animaux de race différente, il n’y a pas de ligne de démarcation réelle ; qu’entre l’espèce et la race il existe par conséquent aussi tous les intermédiaires. L’une et l’autre sont sujettes à des variations progressives, mais parfois fort étendues. Ces variations, une fois réalisées dans quelques individus, se fixent plus ou moins dans leurs descendants en vertu de l’hérédité, produisent des formes nouvelles, dont les unes continuent à se modifier incessamment, dont d’autres, étroitement adaptées à certaines conditions d’existence, persistent aussi longtemps que ces conditions elles-mêmes et parfois indéfiniment, dont d’autres enfin, moins heureuses, s’éteignent sans laisser de descendants.

Les formes de transition, encore mal adaptées aux nouvelles conditions extérieures qui les ont fait naître, et prises pour ainsi dire entre deux feux dans la lutte pour l’existence, par les formes mêmes qu’elles unissent doivent disparaître rapidement, ce qui explique pourquoi elles