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nisme qui de tout temps avait présenté le même aspect. À ce titre, le verbe en était considéré comme un élément indispensable et dont toute proposition devait être munie. D’autre part, le sujet et l’attribut, c’est-à-dire : 1o un terme indiquant d’une manière générale l’objet de la proposition (je) ; 2o un adjectif destiné à exprimer le mode actuel de cet objet (chantant ou chanteur), étant non moins essentiels à la phrase, la décomposition de « je chante » en « je suis chantant » parut s’imposer, bien qu’en réalité le terme « suis » n’est, en pareil cas, que le signe, ou le substitut, de la forme verbale dont le fond, ou l’idée, est représentée par l’adjectif-participe « chantant ». Le double emploi est flagrant : au point de vue historique comme au point de vue logique, la proposition ne comprend donc, répétons-le, d’autres termes que le sujet et l’attribut ; et le verbe, dans une phrase comme « je chante », n’est qu’une forme de ce dernier ; ou bien encore il n’en est qu’un dédoublement abusif, simple conséquence d’une habitude de langage dans les expressions comme « je (suis) fatigué », « j’ai chaud ego (sum) calidus », anglais, I (am) hot, etc.

Nous pouvons déjà conclure de ce qui précède que, dans des types de phrases comme « Pierre frappeur Paul » (avec ce dernier mot à l’accusatif ou revêtu d’une valeur d’accusatif, c’est-à-dire exprimant l’objet ou le but d’une action), « de Paul frappeur Pierre » (avec le premier mot au génitif), etc., le cadre logique est essentiellement le même que dans le type « Pierre bat Paul » = « Pierre frappeur Paul, ou de Paul ».

La question se présente sous une autre face quand l’on a affaire à des phrases dans lesquelles le verbe a pour terme correspondant, non pas un nom d’agent comme « frappeur », mais un nom d’action comme « coup » ; par exemple, dans la proposition « à Paul coup Pierre ». Ici encore, c’est aux phénomènes de l’évolution linguistique que nous aurons recours pour obtenir l’explication de cette apparente anomalie.

Comme nous l’avons déjà fait voir dans un article précédent[1], les noms d’action sont issus des noms d’agents. Rappelons l’origine sûre, par exemple, de cultura, « la chose qui soigne, cultive », féminin de cultor, « cultivateur » ; — de sculptura, « l’art qui cisèle ou de ciseler », féminin de sculptor, « ciseleur » ; — de natura, « la chose qui engendre, la nature », féminin de nator = genitor, « celui qui engendre, le père », etc. Il suit de là qu’un mot comme « coup = ce qui frappe » est issu logiquement et formellement d’un nom d’agent « frappeur », dont il est proprement le neutre. C’est évidemment ce sens étymolo-

  1. Revue philosophique, nº du 1er août 1888.