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celle de Berkeley, qui attribuait le grossissement des astres à l’affaiblissement de leur lumière, de nature à les faire juger plus éloignés ; Malebranche avait dit lui-même : « Nous jugeons encore de l’éloignement de l’objet par la force avec laquelle il agit sur nos yeux, parce qu’un objet éloigné agit bien plus faiblement qu’un autre. »

M. Houzeau remarque justement que le brouillard ne produit pas d’une façon générale le grossissement des astres ; mais les observations que nous avons faites à ce sujet nous paraissent s’expliquer aisément par le fait que, suivant les cas, le brouillard donne ou non le sentiment d’une grande distance. Nous avons constaté que le soleil vu à travers un brouillard léger, qui permet d’apercevoir les objets terrestres, semble assez gros, surtout si le brouillard est un peu inégal, de façon à faire apparaître des masses flottantes qu’éclaire le soleil et à travers lesquelles il transparaît. Au contraire, si un brouillard assez dense couvre la terre, de façon à cacher tous les objets un peu éloignés, mais s’il règne en même temps sur une assez faible hauteur pour que le soleil soit visible à travers, l’astre semble d’une petitesse extrême : il fait l’effet d’une sorte de pain à cacheter blanchâtre, se détachant sur le fond uniforme du brouillard. Dans ce cas, on manque de tout élément d’appréciation sur sa distance ; nous verrons d’ailleurs plus loin une intéressante expérience de M. Stroobant, qui explique bien la petitesse exceptionnelle du soleil dans cette circonstance.

En ce qui concerne la théorie principale, celle de Malebranche, M. Houzeau la combat dans un esprit essentiellement étroit, s’attachant à montrer que la grosseur apparente d’un objet n’est pas déterminée par le nombre des objets interposés. « Dans la vaste plaine de l’Arenal, dans le sud du Texas, dit-il, plaine unie comme la mer, j’ai été frappé de la taille énorme que j’attribuais à distance aux simples touffes d’herbe, à des mottes comme des taupinières. Les pieds de yucca qui se montraient à l’horizon et qui avaient à peine la moitié de la hauteur d’un homme faisaient l’effet de véritables arbres. On sait du reste que le soleil et la lune paraissent aussi grands à l’horizon de la mer qu’à celui du paysage le plus accidenté. » Cette dernière phrase montre bien la faiblesse de l’argumentation, car l’essentiel est de savoir si l’astre paraît éloigné ; or il n’est pas besoin d’une longue dissertation pour établir que l’horizon marin semble fort éloigné : le seul fait qu’aucun obstacle n’arrête le regard donne un sentiment d’immensité. Quant aux yuccas de l’Arenal, il est fort probable qu’ils n’étaient pas réellement à l’horizon, mais se projetaient sur lui : l’absence d’objets entre eux et l’horizon et la faible distance angulaire entre leurs pieds et celui-ci faisaient croire qu’ils étaient réellement à l’horizon, et, celui-ci semblant énormément distant comme celui de la mer, la grandeur apparente des arbustes en était une conséquence nécessaire.

Comme vérification de sa théorie, Malebranche signale que les astres reprennent leurs grandeurs normales, quand on les regarde à travers un verre convenablement enfumé, et Reid reproduit la même expé-