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P. REGNAUD.le verbe, ses antécédents, etc.

grande et vaut surtout à ce titre la peine qu’on l’examine de près et qu’on tente de la résoudre. En telle matière, en effet, fond et forme sont en union si intime qu’il ne s’agit en définitive de rien moins que de savoir si, oui ou non, l’entendement humain est un, et si les rapports des choses sont perçus et compris de la même manière par tous les hommes.

Tout d’abord nous constaterons qu’il convient de subdiviser le problème et d’étudier en première ligne si les trois termes actuels de la proposition, sujet, verbe, attribut, lui sont nécessaires et ont existé de tout temps.

Or, pour peu que l’on sorte de l’état présent du langage, que l’on en remonte l’histoire et que l’on en restitue les périodes anciennes, on se convainc que la catégorie du verbe est une création postérieure aux deux autres.

Au point de vue purement logique, l’analyse de « je chante » en je suis chantant », n’a aucune raison d’être ; la formule « je chantant », ou « je chanteur », suffit en effet complètement à l’expression de l’idée qu’on veut émettre à l’aide de cette phrase. La copule verbale « suis » n’ajoute rien au sens et est purement parasitique ou explétive.

La grammaire historique confirme de son côté cette observation du sens commun. La plupart des linguistes sont d’accord pour reconnaître dans le verbe indo-européen une espèce de mot dont la formule et la valeur significative ne différaient pas à l’origine de celle d’un participe présent ou d’un adjectif-nom d’agent, accompagné de l’idée de la personne (ou de la chose) qualifiée et agissante. Cano, par exemple, avant de contribuer à former la catégorie spéciale du verbe personnel et de signifier « je chante », appartenait à celle de l’adjectif et correspondait pour l’idée à nos mots « (je) chantant », ou « (je) chanteur ».

De même que le nom, le verbe proprement dit est issu de l’adjectif à la suite d’une légère modification de forme, bientôt accompagnée d’une légère modification de sens ; ce qui revient à dire que le verbe est une variante de l’adjectif, qui s’est constituée à l’état de partie du discours distincte, à un certain moment du développement linguistique. En réalité, sa création a eu moins pour résultat de fournir un moyen d’expression à une forme nouvelle de la pensée que de substituer un terme simple (cano) à la périphrase primitive due à la combinaison d’un pronom personnel et d’un adjectif (ego canens).

À l’époque où l’on imagina d’analyser « je chante » en « je suis chantant », on avait complètement perdu de vue l’histoire de ces transformations, ou plutôt on considérait le langage comme un orga-