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LE VERBE

SES ANTÉCÉDENTS ET SES CORRESPONDANTS LOGIQUES


Un linguiste allemand, M. le professeur H. Winkler, de Breslau, a publié récemment un ouvrage intitulé Contribution à l’histoire du langage[1], dans lequel il étudie les éléments de la proposition parmi l’ensemble des langues parlées sur la surface de la terre. Ce livre est d’autant plus intéressant que les observations de l’auteur portent de préférence sur les idiomes les moins observés jusqu’ici, c’est-à-dire sur ceux des sauvages. D’après un compte rendu anonyme de la Revue critique[2], les faits, recueillis et interprétés par M. Winkler, « montrent que rien n’est plus curieux que la variété des concepts, que la soi-disant analyse logique jette dans un moule uniforme : ce qui est sujet pour nous est objet pour le Cafre, possesseur pour l’Égyptien, instrument pour l’Australien ; ce que nous nommons verbe est prédicat dans la pensée des uns, objet possédé dans celle des autres, et ainsi de suite. » Le critique ajoute que, « cette étude d’ensemble est plus que toute autre de nature à faire réfléchir le grammairien et le philosophe sur le caractère essentiellement relatif de l’entendement humain. »

Dans un nouvel article, probablement du même auteur[3], des exemples sont cités à l’appui de ce qui précède. Ainsi, à la proposition que nous formulons de la manière suivante : « Pierre bat Paul », correspondent dans d’autres langues les tours : « Par Pierre Paul coup » — « à Paul coup Pierre » — « Pierre Paul lui-coup-lui » — « de Pierre Paul son coup » et, ajoute-t-on, nombre d’autres encore.

Faut-il en conclure, comme l’auteur que nous venons de citer paraît disposé à le faire, que « les procédés de la logique aristotélicienne » ne sont pas « les voies nécessaires et prédestinées de l’esprit humain » ? Autrement dit, les formes du jugement, ou les modes d’expression de la pensée, peuvent-ils affecter dans le langage des aspects essentiellement différents les uns des autres ?

La question ainsi posée a une importance psychologique très

  1. Zur Sprachgeschichte, Berlin, 1887.
  2. No du 22 août 1887.
  3. Revue critique, nº du 17 octobre 1887.