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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

disciple de Spencer, M. Pollock, déclare le plus remarquable de tous ceux qui ont paru sur ce sujet et sans analogue même en Angleterre ; dans l’Esquise d’une morale sans obligation ni sanction, une théorie de la vie et de la fécondité dans l’ordre moral qui ajoute des éléments nouveaux et essentiels à l’éthique naturaliste ; une détermination originale des « équivalents de la moralité » ; une critique subtile et serrée des idées traditionnelles d’obligation et de sanction ; dans les Problèmes d’Esthétique contemporaine, une doctrine parfaitement justifiée du sérieux dans l’art, et une théorie de la vie comme principe du beau qui rectifie la théorie kantienne et spencérienne du « jeu dans l’art » ; dans les Vers d’un philosophe, une application personnelle de l’art sérieux et sincère, où se retrouve toujours l’accent de la vérité et qui, par cela même, ne peut manquer d’émouvoir ; plus tard, l’introduction du point de vue sociologique dans l’art avec les principes nouveaux de critique qui en résultent ; dans Éducation et Hérédité, autre « étude sociologique », des principes analogues renouvelant la théorie de l’éducation et aboutissant à montrer comment l’éducation peut contrebalancer l’hérédité déjà établie, au profit d’une hérédité nouvelle ; enfin, dans l’Irréligion de l’avenir, une transformation des études religieuses par l’application de la même méthode sociologique, et, comme couronnement de tant de travaux divers, une esquisse magistrale des grands systèmes métaphysiques, avec des vues nouvelles et hardies sur l’avenir de l’humanité et du monde ; en un mot, une doctrine de la vie et de son expansion individuelle ou collective, qui fait de la métaphysique même une manifestation suprême et une investigation radicale de la vie : tels sont les titres philosophiques qui demeureront acquis à ce jeune homme de trente-trois ans, dont toute l’existence réalisa si bien son propre idéal de la fécondité de la vie. Quant à ses titres littéraires, si on extrayait de ses livres les pensées qui frappent par leur force ou leur profondeur, les pages poétiques, gracieuses, éloquentes, et qui, à certains instants, comme nous l’avons vu, sans jamais sortir du naturel, s’élèvent jusqu’au sublime, on aurait un recueil à mettre en comparaison avec plus d’un livre devenu classique.

À ces mérites dont un autre aurait pu tirer quelque vanité, il joignait une modestie vraiment philosophique. C’est précisément, disait-il, parce que le philosophe sait combien de choses il ignore, qu’il ne peut pas affirmer au hasard et qu’il est réduit sur bien des points à rester dans le doute, dans l’attente anxieuse, « à respecter la semence de vérité qui ne doit fleurir que dans l’avenir lointain ». Au mot de Pascal : Dignité de croire, il répondait : Dignité de douter. Au moment de la mort surtout, ajoutait-il, à cette heure où les reli-