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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

ne sort pas de la nature, sort de notre expérience et de notre science actuelle. Mais la même raison qui frappe d’incertitude toutes ces hypothèses est aussi celle qui les rend et les rendra toujours possibles : notre ignorance irrémédiable du fond même de la conscience.

« Il y a là, dit Gayau avec une précision et une sûreté frappantes, il y a là et il y aura toujours un mystère philosophique qui vient de ce que la conscience, la pensée, est une chose sui generis, sans analogue, absolument inexplicable, dont le fond demeure à jamais inaccessible aux formules scientifiques, par conséquent à jamais ouvert aux hypothèses métaphysiques. De même que l’être est le grand genre suprême, genus generalissimum, enveloppant toutes les espèces de l’objectif, la conscience est le grand genre suprême enveloppant et contenant toutes les espèces du subjectif ; on ne pourra donc jamais répondre entièrement à ces deux questions : — Qu’est-ce que l’être ? qu’est-ce que la conscience ? ni, par cela même, à cette troisième question qui présupposerait la solution des deux autres la conscience sera-t-elle ? » Puis il ajoute avec cette poésie qui ne nuit jamais chez lui à la profondeur, quoique parfois elle la déguise en la rendant accessible à tous : « On lit sur un vieux cadran solaire d’un village du midi : Sol non occidat ! — Que la lumière ne s’éteigne pas ! telle est bien la parole qui viendrait compléter le fiat lux. La lumière est la chose du monde qui devrait le moins nous trahir, avoir ses éclipses, ses défaillances ; elle aurait dû être créée « à toujours », εἰς ἀεί, jaillir des cieux pour l’éternité. Mais peut-être la lumière intellectuelle, plus puissante, la lumière de la conscience finira-t-elle par échapper à cette loi de destruction et d’obscurcissement qui vient partout contrebalancer la loi de création ; alors seulement le fiat lux sera pleinement accompli : lux non occidat in æternum. »

Mais, dira-t-on, ceux qui ne se laissent pas prendre aux tentations de toutes ces belles et lointaines hypothèses sur l’au-delà de l’existence, ceux qui voient la mort dans toute sa brutalité, telle que nous la connaissons, et qui, comme vous-même peut-être, penchent vers la négative en l’état actuel de l’évolution, — quelle consolation, quel encouragement avez-vous pour eux au moment critique, que leur direz-vous sur le bord de l’anéantissement ? — Guyau répond avec une éloquence toute virile, mais où l’on sent l’émotion contenue de celui qui se voit lui-même condamné :

« Rien de plus que les préceptes du stoïcisme antique, qui lui aussi ne croyait guère à l’immortalité individuelle : trois mots très simples et un peu durs : « Ne pas être lâche. » Autant le stoïcisme avait tort lorsque, devant la mort d’autrui, il ne comprenait pas la douleur de