Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/590

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
580
revue philosophique

pas antiscientifiques. » La science du système nerveux et cérébral ne fait que commencer ; nous ne connaissons encore que les exaltations maladives de ce système, les sympathies et suggestions à distance de l’hypnotisme ; mais nous entrevoyons déjà tout un monde de phénomènes où, par l’intermédiaire de mouvements d’une formule encore inconnue, tend à se produire une communication de consciences, et même, quand les volontés mutuelles y consentent, une sorte d’absorption de personnalités l’une dans l’autre. Cette complète fusion des consciences, où d’ailleurs chacune pourrait garder sa nuance propre tout en se composant avec celle d’autrui, est ce que rêve et poursuit dès aujourd’hui l’amour, qui, « étant lui-même une des grandes forces naturelles et sociales, ne doit pas travailler en vain. »

Dans cette hypothèse, dont on ne contestera ni la nouveauté ni la portée philosophique, le problème serait d’être tout à la fois assez aimant et assez aimé pour vivre et survivre en autrui. « Le moule de l’individu, avec ses accidents extérieurs, sombrerait, disparaîtrait, comme celui d’une statue : le dieu intérieur revivrait en l’âme de ceux qu’il a aimés, qui l’ont aimé. » La désunion deviendrait impossible, comme dans ces « atomes-tourbillons » qui semblent ne former qu’un seul être parce que nulle force ne peut réussir à les couper : leur unité ne vient pas de leur simplicité, mais de leur inséparabilité. Puis, par un retour sur lui-même et sur les siens, Guyau ajoute ces paroles d’une simplicité et d’une tendresse touchantes : « Dès maintenant il se rencontre parfois des individus si aimés qu’ils peuvent se demander si, en s’en allant, ils ne resteraient pas encore presque tout entiers dans ce qu’ils ont de meilleur, et si leur pauvre conscience, impuissante encore à briser tous les liens d’un organisme trop grossier, n’a pas réussi cependant — tant elle a été aidée par l’amour de ceux qui les entourent, — à passer presque tout entière en eux : c’est en eux déjà qu’ils vivent vraiment, et de la place qu’ils occupent dans le monde, le petit coin auquel ils tiennent le plus et où ils voudraient rester toujours, c’est le petit coin qui leur est gardé dans deux ou trois cœurs aimants. »

Ce phénomène de palingénésie mentale, d’abord isolé, irait s’étendant de plus en plus dans l’espèce humaine. L’immortalité serait ainsi une acquisition finale, faite par l’espèce au profit de tous ses membres. Toutes les consciences finiraient par participer à cette survivance au sein d’une conscience plus large. La fraternité envelopperait toutes les âmes et les rendrait plus transparentes l’une pour l’autre : l’idéal moral et religieux serait réalisé.

Ce sont là, à coup sûr, des spéculations dans un domaine qui, s’il