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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

disaient les pythagoriciens, que la conscience est un nombre, une harmonie, un accord de voix intérieures, on peut encore se demander si certains accords ne deviendront pas assez parfaits pour retentir toujours, sans cesser pour cela de pouvoir toujours entrer comme éléments dans des harmonies plus complexes et plus riches. Il existerait des sons de lyre vibrant à l’infini sans perdre leur tonalité fondamentale sous la multiplicité de leurs variations. Au fait, il doit y avoir une évolution dans l’organisation des consciences comme il y en a une dans l’organisation des molécules et des cellules vivantes, et, là aussi, ce sont les combinaisons les plus vivaces, les plus durables et les plus flexibles tout ensemble qui doivent l’emporter dans la lutte pour la vie. La nature en viendrait alors, non à force de simplicité, mais à force de complexité savante, à réaliser une sorte d’immortalité progressive, produit dernier de la sélection.

Considérons maintenant les consciences dans leur rapport mutuel et, pour ainsi dire, social. La psychologie contemporaine tend à admettre que des consciences différentes ou, si l’on préfère, des agrégats différents d’états de conscience peuvent s’unir et même se pénétrer ; c’est quelque chose d’analogue à ce que les théologiens ont appelé la pénétration des âmes. Dès lors il est permis de se demander si les consciences, en se pénétrant, ne pourront un jour se continuer l’une dans l’autre, se communiquer une durée nouvelle, au lieu de rester, selon le mot de Leibnitz, plus ou moins « momentanées », et si ce serait là un avantage pour l’espèce humaine. Dans les intuitions mystiques des religions on entrevoit parfois le pressentiment de vérités supérieures : saint Paul nous dit que les cieux et la terre passeront, que les prophéties passeront, que les langues passeront, qu’une seule chose ne passera point, la charité, l’amour. Pour interpréter philosophiquement cette haute doctrine religieuse, dit Guyau, il faudrait admettre que le lien de l’amour mutuel, qui est le moins simple et le moins primitif de tous, sera cependant un jour le plus durable, le plus capable aussi de s’étendre et d’embrasser progressivement un nombre d’êtres toujours plus voisin de la totalité, de la « cité céleste ». C’est par ce que chacun aurait de meilleur, de plus désintéressé, de plus impersonnel et de plus aimant qu’il arriverait à pénétrer de son action la conscience d’autrui ; et ce désintéressement coïnciderait avec le désintéressement des autres, avec l’amour des autres pour lui : « il y aurait ainsi fusion possible, il y aurait pénétration mutuelle si intense que, de même qu’on souffre à la poitrine d’autrui, on en viendrait à vivre dans le cœur même d’autrui. Certes, nous entrons ici dans le domaine des rêves, mais nous nous imposons toujours comme règle que ces rêves, s’ils sont ultra-scientifiques, ne soient