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À cette tentation de désespoir l’Irréligion de l’avenir répond que, des deux infinis de durée, un seul s’est écoulé stérile, du moins en partie… Il restera donc toujours mathématiquement à l’univers au moins une chance sur deux de réussir : c’est assez pour que le pessimisme ne puisse jamais triompher dans l’esprit humain. » — « L’avenir, ajoute Guyau avec profondeur, n’est pas entièrement déterminé par le passé connu de nous. L’avenir et le passé sont dans un rapport de réciprocité, et on ne peut connaître l’un absolument sans l’autre, ni conséquemment deviner l’un par l’autre. » Enfin, outre l’infinité des nombres et l’éternité des temps, Guyau trouve une nouvelle raison d’espérance dans l’immensité même des espaces, qui ne nous permet pas de juger les périodes à venir de l’évolution uniquement sur notre système solaire et même stellaire. Sommes-nous les seuls êtres pensants dans l’univers ? N’y a-t-il point quelque part des êtres supérieurs à nous ? « Notre témoignage, quand il s’agit de l’existence de tels êtres, n’a pas plus de valeur que celui d’une fleur de neige des régions polaires, d’une mousse de l’Himalaya ou d’une algue des profondeurs de l’océan Pacifique, qui déclareraient la terre vide d’êtres vraiment intelligents, parce qu’ils n’ont jamais été cueillis par une main humaine. »

La partie la plus originale des a spéculations métaphysiques » aux quelles Guyau s’abandonne à la fin de son livre sur l’Irréligion de l’avenir, c’est celle qui concerne notre destinée. L’idée de la mort l’avait toujours préoccupé. Il croyait même qu’on peut juger en partie la valeur morale et sociale d’une doctrine à la force qu’elle donne pour mourir. Là encore, il introduit d’une manière nouvelle l’idée sociologique. La science qui semble surtout opposée à la conservation de l’individu, dit-il, c’est la mathématique, qui ne voit dans le monde que des chiffres toujours variables et transformables l’un dans l’autre, et qui joue trop avec des abstractions. Au contraire, la plus concrète peut-être des sciences, la sociologie, voit partout des groupements de réalités ; au lieu de rapports abstraits et au lieu de substances non moins abstraites, elle aperçoit des sociétés vivantes en voie de formation.

Le problème de la stabilité et de la durée indéfinie, remarque Guyau, est précisément celui que cherchent à résoudre les sociétés humaines. Le problème de l’immortalité est donc au fond identique au problème social ; seulement, il porte sur la conscience individuelle conçue comme une sorte de conscience collective. À ce point de vue, il est probable que, plus la conscience personnelle est parfaite, plus elle réalise à la fois une harmonie durable et une puissance de métamorphose indéfinie. Par conséquent, en admettant même ce que