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et métaphysique, dans ses efforts pour faire de la pensée et de la bonne volonté autre chose que « vanité » ? — Selon Guyau, concevoir l’évolution comme ayant un but dès le commencement et comme étant providentielle en son ensemble, c’est une hypothèse métaphysique qui, par malheur, ne s’appuie sur aucune induction scientifique ; mais on peut concevoir l’évolution de la vie comme aboutissant à des êtres capables de se donner à eux-mêmes un but et d’aller vers ce but en entraînant plus ou moins après eux la nature. « La sélection naturelle se changerait ainsi finalement en une sélection morale et, en quelque sorte, divine. » C’est là sans doute une hypothèse encore bien hardie, mais qui est pourtant dans la direction des hypothèses scientifiques. Rien ne la contredit formellement dans l’état actuel des connaissances humaines. « L’évolution, en effet, a pu et dû produire des espèces, des types supérieurs à notre humanité : il n’est pas probable que nous soyons le dernier échelon de la vie, de la pensée et de l’amour. Qui sait même si l’évolution ne pourra ou n’a pu déjà faire ce que les anciens appelaient des « dieux » ? Guyau montre excellemment que, de cette manière, peut se trouver conservé le fond le plus pur du sentiment religieux : sociabilité non seulement avec tous les êtres vivants connus par l’expérience, mais encore avec des êtres de pensée et des puissances supérieures dont nous peuplons l’univers. « Pourvu que ces êtres n’aient rien pour ainsi dire d’anti-réel, pourvu qu’ils puissent se trouver réalisés quelque part, sinon dans le présent, du moins dans l’avenir, le sentiment religieux n’offre plus rien lui-même d’incompatible avec le sentiment scientifique. En même temps, il se confond tout à fait avec l’élan métaphysique et poétique. Le croyant se transforme en philosophe ou en poète, mais en poète qui vit son poème et qui rêve l’extension de sa bonne volonté propre à la société universelle des êtres réels ou possibles. La formule du sentiment moral et religieux que Feuerbach avait proposée : — réaction du désir humain sur l’univers, — peut alors se prendre en un sens supérieur : — Double désir et double espérance : 1o que la volonté sociable, dont nous nous sentons animés personnellement, se retrouve aussi, comme le fait supposer la biologie, dans tous les êtres placés au sommet de l’évolution universelle ; 2o que ces êtres, après avoir été ainsi portés en avant par l’évolution, réussissent un jour à la fixer, à arrêter en partie la dissolution, et qu’ils fixent par là même dans l’univers l’amour du bien social ou, pour mieux dire, l’amour même de l’universel. » Ainsi formulé, le sentiment religieux demeure ultra-scientifique, mais il est certain qu’il n’est plus antiscientifique. Il suppose beaucoup, sans doute, en admettant une direction possible de l’évo-