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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

a écrit de plus élevé sur ce sujet depuis le Phédon et le cinquième livre de l’Ethique.

Selon Guyau, toutes les doctrines tendent aujourd’hui au monisme. Le matérialisme, dit-il avec raison, n’est plus autre chose qu’un monisme mécaniste, où la loi fondamentale des choses est conçue (bien à tort) comme épuisée et traduite tout entière par les termes mathématiques, c’est-à-dire par de purs symboles. L’idéalisme est un monisme où la loi essentielle des choses est conçue comme mentale, soit qu’on la cherche plutôt dans le domaine de l’intelligence, soit qu’on la cherche dans celui de la volonté. Le pur matérialiste, palpant la sphère du monde et s’en tenant à l’impression la plus grossière, celle du tact, s’écrie : « Tout est matière » ; mais la matière même se résout bientôt, pour lui, dans la force, et la force, dit Guyau, n’est qu’une « forme primitive de la vie ». Le matérialisme devient donc en quelque sorte animiste, et devant la sphère roulante du monde il est obligé de dire : Elle vit. « Alors intervient un troisième personnage qui, comme Galilée, la frappe du pied à son tour : Oui, elle est force, elle est action, elle est vie ; et pourtant elle est encore autre chose, puisqu’elle pense en moi et se pense par moi. E pur si pensa ! » Selon le monisme, le monde est un seul et même devenir de vie physique et psychique ; « il n’y a pas deux natures d’existence ni deux évolutions, mais une seule, dont l’histoire est l’histoire même de l’univers ». Au lieu de chercher à fondre la matière dans l’esprit ou l’esprit dans la matière, Guyau prend donc les deux réunis en cette synthèse que la science même, dit-il, est forcée de reconnaître : la vie. La science étend chaque jour davantage le domaine de la vie, il n’existe plus de point de démarcation fixe entre le monde organique et le monde inorganique ; il y a donc probablement équation finale entre existence et vie. « Nous ne savons pas si le fond de la vie est volonté, s’il est idée, s’il est sensation, quoique avec la sensation nous approchions sans doute davantage du point central ; il nous semble seulement probable que la conscience, qui est tout pour nous, doit être encore quelque chose dans le dernier des êtres, et qu’il n’y a pas dans l’univers d’être pour ainsi dire entièrement abstrait de soi[1] ».

Avec ces données, Guyau se demande quel aspect prendront pour nous l’homme et le monde. Le naturalisme moniste, par sa conception de la vie individuelle et universelle, laisse-t-il une place aux espérances sur lesquelles s’est toujours appuyé le sentiment moral

  1. On remarquera la force et la portée de cette formule. Nous croyons seulement, pour notre part, que la sensation, avec la sourde conscience qu’elle enveloppe, a elle-même pour racine la volonté.