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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

duite des individus et des sociétés, il a cependant une influence considérable pour qui pénètre au fond des choses. Le sentiment métaphysique, en effet, a trait non seulement à la question des origines de notre vie, mais encore à celle de nos destinées, et surtout à celle de notre fin morale. On ne peut se représenter la fin et la règle de la vie de la même manière dans l’hypothèse du matérialisme et dans celle de l’idéalisme. Même en admettant que la métaphysique ne puisse aboutir, comme l’espère Guyau, à une « classification des hypothèses selon leur degré de probabilité », la métaphysique sera toujours nécessaire pour délimiter exactement le domaine de la science, délimitation qui ne sera sans doute jamais parfaite et qui exigera toujours des études nouvelles. — Mais en quoi, demande-t-on, le sentiment des bornes de la science intéresse-t-il la société humaine ? — En ce qu’il intéresse la moralité. Nous avons essayé de montrer ailleurs que la limitation de l’orgueil intellectuel entraîne aussi la limitation de l’égoïsme pratique, et qu’il n’est indifférent ni pour un individu, ni pour une société, de considérer le monde sensible comme étant tout, ou de ne le considérer que comme un monde d’apparences relatives au delà duquel peut exister une vie plus réelle et plus profonde. En outre, jamais l’homme ne pourra s’empêcher de se représenter cette réalité sur le type de ce qu’il considère comme étant en lui-même le plus radical et le plus irréductible, en un mot comme l’objet de l’expérience la plus fondamentale et la plus universelle. Or, la détermination de ce qu’il y a de plus fondamental dans l’expérience même est, selon nous, œuvre de métaphysique, — non plus transcendante, mais immanente. Et nous croyons en outre, avec Guyau, que, dans les grandes alternatives de la vie, l’homme agit différemment selon l’idée différente qu’il se fait de sa nature radicale et, par conséquent, de sa fin morale. C’est précisément pour cela qu’il y a toujours eu des religions, c’est-à-dire des métaphysiques figurées ; et si les figures, les symboles, les dogmes, les rites doivent disparaître progressivement, l’esprit restera après la disparition de la lettre, — l’esprit, c’est-à-dire le sentiment métaphysique et moral, plus nécessaire encore dans le fond au progrès des sociétés que l’esprit de spéculation intellectuelle et la curiosité scientifique. La métaphysique est l’expansion suprême et nécessaire de la vie individuelle, tendant à rétablir son unité avec la vie universelle.

À en croire M. de Candolle, moins les peuples ont été cultivés, plus ils ont eu de goût pour les questions insolubles ; d’où l’on a voulu conclure que le développement de la métaphysique est loin d’être parallèle au développement de l’esprit humain. M. de Candolle se