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que la vie est le vrai nom de l’être et qu’il n’y a rien de mort dans l’univers. De plus, la vie ayant pour caractère essentiel la fécondité, c’est-à-dire la multiplication de soi en autrui, l’expansion de l’individu en société, il en résulte que, comme l’art et la morale, la métaphysique a un fond sociologique. Guyau va jusqu’à dire, et avec beaucoup de force, que, si l’instinct métaphysique est indestructible, c’est qu’il se ramène à l’instinct vital et social. La spéculation métaphysique, tout comme l’instinct moral et artistique, « se rattache à la source même de la vie (p. 438) ». À l’origine de l’évolution, la vie est simplement une « fécondité plus ou moins aveugle, inconsciente, ou mieux subconsciente », qui agit sans aucune idée de fin. Cette fécondité, « en prenant mieux conscience de soi, se règle, se rapporte à des objets plus ou moins rationnels », devient finalité et moralité : le devoir, nous l’avons vu, est un pouvoir de fécondité vitale et sociale « qui arrive à la pleine conscience de soi et s’organise ». L’individualité, par son accroissement même, tend donc à devenir sociabilité et moralité. La sociabilité, à son tour, s’étendant et s’élargissant à l’infini, devient religion et fait le fond de la métaphysique même. Celle-ci se demande : — Quel est le lien social qui fait l’unité primitive et l’unité finale du monde en établissant entre tous les êtres une solidarité, une parenté universelle ?

Ce qui subsistera des diverses religions au point de vue intellectuel, c’est donc bien la spéculation métaphysique, avec toute sa liberté et sa variabilité. « Les systèmes meurent, et à plus forte raison les dogmes ; ce qui reste, ce sont les sentiments et les idées. Tous les arrangements se dérangent, toutes les délimitations et toutes les définitions se brisent un jour ou l’autre, toutes les constructions tombent en poussière ; ce qui est éternel, c’est cette poussière même des doctrines, toujours prête à rentrer dans un moule nouveau, dans une forme provisoire toujours vivante et qui, loin de recevoir la vie de ces formes fugitives où elle passe, la leur donne. Les pensées humaines vivent non par leurs contours, mais par leur fond. Pour les comprendre, il faut les saisir non dans leur immobilité, au sein d’un système particulier, mais dans leur mouvement, à travers la succession des doctrines les plus diverses. Ainsi que la spéculation même et l’hypothèse, le sentiment philosophique et métaphysique qui y correspond est éternel. »

On a nié que ce qui doive rester des spéculations religieuses sur Dieu et le monde soit le sentiment métaphysique : ce sentiment, dit-on, ne fait point partie de ces nécessités sociales et pratiques qui seules peuvent assurer la pérennité. — Mais, répondrons-nous, si étranger que le sentiment métaphysique paraisse d’abord à la con-