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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

facteur temps, de la solidité actuelle des instincts et sentiments dans l’individu ; mais il admettait la modification progressive des instincts par la réflexion accumulée dans le temps et généralisée dans la race. Lui-même, d’ailleurs, a prévu les objections et indiqué la réponse : « Quand vous vous indignez contre quelque vieux préjugé absurde, songez qu’il est le compagnon de route de l’humanité depuis dix mille ans peut-être, qu’on s’est appuyé sur lui dans les mauvais chemins, qu’il a été l’occasion de bien des joies, qu’il a vécu pour ainsi dire de la vie humaine : n’y a-t-il pas pour nous quelque chose de fraternel dans toute pensée de l’homme ? Peut-être nous reprochera-t-on d’être un peu trop de notre pays, d’apporter dans les solutions la logique de l’esprit français, de cet esprit qui ne se plie pas aux demi-mesures, veut tout ou rien, n’a pu s’arrêter au protestantisme et, depuis deux siècles, est le foyer le plus ardent de la libre pensée dans le monde. Nous répondrons que, si l’esprit français a un défaut, ce défaut n’est pas la logique, mais plutôt une certaine légèreté tranchante, une certaine étroitesse de point de vue qui est le contraire de l’esprit de conséquence et d’analyse : la logique, après tout, a toujours eu le dernier mot ici-bas. Les concessions à l’absurde, ou tout au moins au relatif, peuvent être parfois nécessaires dans les choses humaines ; — c’est ce que les révolutionnaires français ont eu le tort de ne pas comprendre ; — mais elles sont transitoires. L’erreur n’est pas le but de l’esprit humain : s’il faut compter avec elle, s’il est inutile de la dénigrer d’un ton amer, il ne faut pas non plus la vénérer. Les esprits logiques et larges tout ensemble sont toujours sûrs d’être suivis, pourvu qu’on leur donne les siècles pour entraîner l’humanité : la vérité peut attendre ; elle restera toujours aussi jeune et elle est toujours sûre d’être un jour reconnue. Parfois, dans les longs trajets de nuit, les soldats en marche s’endorment, sans pourtant s’arrêter ; ils continuent d’aller dans leur rêve et ne se réveillent qu’au lieu d’arrivée, pour livrer bataille. Ainsi s’avancent en dormant les idées de l’esprit humain ; elles sont parfois si engourdies qu’elles semblent immobiles, on ne sent leur force et leur vie qu’au chemin qu’elles ont fait ; enfin le jour se lève et elles paraissent : on les reconnaît, elles sont victorieuses. »

V. — L’expansion de la vie universelle, comme principe de la métaphysique.

La métaphysique, selon Guyau, comme la morale et l’art, a pour objet essentiel la vie, sa nature, ses origines et sa destinée, parce