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artificielle qu’elles exerceraient en vue de défaire la foi en un temps donné, « à volonté ». Les classes dirigeantes n’en ont pas moins une action réelle, quoique lente, et leur exemple finit par descendre dans la masse.

M. Durckheim nous semble avoir beaucoup mieux posé le problème en ce qui concerne les sociétés : « Pour démontrer que la foi n’a plus d’avenir, dit-il, il faut faire voir que les raisons d’être qui la rendaient nécessaire ont disparu ; et, puisque ces raisons sont d’ordre sociologique, il faut examiner quel changement s’est produit dans la nature des sociétés qui rend désormais la religion inutile et impossible. » Telle est précisément la méthode que Guyau lui-même a suivie. Il a passé en revue les raisons d’être sociales de la religion, qui ne peuvent être que les suivantes : raisons morales et éducatives, raisons juridiques, raisons politiques, enfin raisons d’ordre intellectuel. La religion en effet, dans les sociétés antiques, a servi de base à la morale publique et à l’éducation, au droit, au gouvernement, à l’ordre économique, à la philosophie et à la science. En dehors de ces raisons, nous ne voyons pas quelles racines sociales la religion pourrait avoir. Or, Guyau les a successivement examinées, surtout dans ses chapitres sur l’enfant, la femme et le peuple. Il est clair, selon lui, que le droit ne repose plus sur la religion et se maintient en dehors d’elle. La politique est également séparée de la religion et le droit populaire remplacera partout le droit divin. Actuellement la religion est encore un des soutiens nécessaires de l’État, mais, de plus en plus, l’État sera obligé de chercher ailleurs son point d’appui, dans des idées de patriotisme, de droit, d’intérêt général, qui sont de plus en plus étrangères aux idées religieuses. Guyau a montré que la morale va aussi se séparant de la religion ; que, si elle a besoin, dans ses derniers fondements, d’une inspiration métaphysique, cette inspiration ne prend pas nécessairement la forme d’une doctrine de religion positive. Au fond, c’est dans l’ordre moral qu’est la vraie question religieuse. La société a absolument besoin, pour subsister, d’une moralité publique, dont l’éducation doit être la sauvegarde. Si donc la moralité et l’éducation morale sont nécessairement liées à des croyances de religion positive, c’est-à-dire à des mythes et à des dogmes, la religion sera indestructible, parce que la société elle-même ne se laissera pas détruire et maintiendra, envers et contre tous, ses conditions d’existence. Or, selon Guyau, la moralité n’exige pas un élément mythique, révélé, érigé en dogme. Elle n’exige pas non plus un système de rites.

On a reproché à Guyau un excès d’intellectualisme dans ses prévisions sur l’avenir de la religion, comme dans celles qu’il avait