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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

et la volonté, surtout au sein des foules (c’est le problème psychologique), ainsi que dans les rapports des symboles et dogmes religieux avec la conservation et le progrès des sociétés (c’est le problème sociologique).

En ce qui concerne la première question, Guyau répond que les croyances métaphysiques et morales sont sans doute impérissables en tant qu’inhérentes à la nature humaine, mais qu’il n’est pas nécessaire de donner à ces croyances la forme de mythes, de dogmes, de lois religieuses. Même en admettant que l’homme ne puisse s’empêcher d’imaginer un principe de l’univers et un rapport de nous-mêmes à ce principe, même en admettant qu’il ne puisse se représenter ce rapport que sous une forme plus ou moins anthropomorphique et sociomorphique, il ne résulte pas de là une religion, car toute représentation sensible ou psychique du principe universel n’est pas nécessairement un dogme, une certitude composée d’en haut et devenant loi absolue de la pensée comme de la conduite ; elle n’est pas non plus nécessairement un mythe, c’est-à-dire une représentation figurée qu’on prend pour une histoire réelle, ou pour une vérité adéquate. En faisant une hypothèse, même anthropomorphique ou sociomorphique, sur le principe de l’univers physique et moral, je puis me dire que c’est une hypothèse, une représentation purement possible ou probable, mais inadéquate à son objet et de nature tout humaine, parce qu’elle est nécessairement imaginative et symbolique : il n’y a plus alors de dogme, ni de révélation, ni de mystère ; il n’y a pas non plus de foi proprement dite, c’est-à-dire d’affirmation dépassant les raisons ; il y a un essai conscient de représentation imparfaite, il y a un essai de métaphysique humaine, il n’y a pas de religion.

On ne contestera pas la possibilité de procéder ainsi pour les philosophes. Quant à savoir si les peuples peuvent aussi procéder de cette manière, c’est une autre question, c’est la question sociologique. M. Renouvier la pose ainsi : « Peut-il être donné aux classes dirigeantes d’une nation, à une époque où on les supposerait parvenues en majorité à un certain état de croyance ou d’incroyance, de se rendre maîtresses de l’éducation au point de faire ou de défaire à volonté une religion ? Est-il supposable qu’elles conservent assez longtemps la volonté et le pouvoir de modeler les esprits pour atteindre un tel but, au lieu d’être elles-mêmes soumises, en somme, aux conditions générales du développement du peuple dont elles font partie ? » Guyau n’eût pas accepté cette position du problème si la religion disparaît, ce ne sera pas, selon lui, par une action volontaire et réfléchie des classes dirigeantes, par une influence