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trois éléments distinctifs et essentiels : 1o un essai d’explication mythique et non scientifique des phénomènes naturels (action divine, miracles, prières efficaces, etc.) ou des faits historiques (incarnation de Jésus-Christ ou de Bouddha, révélations, etc.) ; — 2o un système de dogmes, c’est-à-dire d’idées symboliques, de croyances imaginatives, imposées à la foi comme des vérités absolues, alors même qu’elles ne sont susceptibles d’aucune démonstration scientifique ou d’aucune justification philosophique ; — 3o un culte et un système de rites, c’est-à-dire de pratiques plus ou moins immuables, regardées comme ayant une efficacité merveilleuse sur la marche des choses, une vertu propitiatrice. Une religion sans mythes, sans dogmes, sans culte ni rites, n’est plus que la religion naturelle, chose quelque peu bâtarde, qui vient se résoudre en hypothèses métaphysiques. « Par ces trois éléments différentiels et vraiment organiques, la religion se distingue nettement de la philosophie. » Aussi, au lieu d’être aujourd’hui, comme elle l’a été autrefois, une philosophie populaire et une science populaire, la religion dogmatique et mythique tend à devenir un système d’idées non philosophiques et non scientifiques. Si ce caractère n’apparaît pas toujours, c’est à la faveur du symbolisme dont nous avons parlé, qui conserve les noms en transformant les idées et en les adaptant aux progrès de l’esprit moderne. » Or les éléments qui distinguent la religion de la métaphysique ou de la morale, et qui la constituent proprement religion positive, — mythes, dogmes et rites, — sont, selon Guyau, caducs et transitoires, parce qu’ils ne sont pas essentiels à la constitution psychologique de l’humanité et qu’ils tendent au contraire à disparaître par l’effet de l’évolution intellectuelle.

Cette précision des idées et des définitions ne fait pas l’affaire des apologistes de la religion positive. Ces derniers tirent toute leur force du rapport étroit de la religion à la métaphysique et à la morale, et, en montrant la nécessité des croyances métaphysiques ou morales, ils veulent nous persuader qu’ils nous démontrent la nécessité des mythes, symboles et dogmes religieux. On ne doit pourtant pas confondre la forme mythique et dogmatique des hypothèses métaphysiques avec ces hypothèses mêmes. C’est comme si l’on soutenait que quiconque croit en Dieu croit nécessairement à Jupiter lançant la foudre, à Brahma s’incarnant, à Jéhovah dictant à Moïse le Décalogue sur le Sinaï. Pour prouver la pérennité des religions, il ne suffit pas de montrer, comme font MM. Renouvier, Secrétan, Goblet d’Alviella, que l’homme fera toujours de la métaphysique et aura toujours une morale ; la question n’est pas là, elle est ailleurs : elle est dans les rapports de l’imagination et de la passion avec la pensée