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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

du christianisme, nous serons tous catholiques sans le savoir et sans le vouloir. »

C’est surtout, comme on pouvait s’y attendre, sur l’avenir de la religion que le livre a excité et excite encore d’ardentes controverses. Les uns veulent défendre leur propre foi, qui leur semble naturellement éternelle ; les autres, sans avoir foi eux-mêmes, croient que, dans les sociétés, la foi peut fort bien demeurer inaccessible aux influences de la science et de la philosophie, parce qu’elle résulte de causes toutes pratiques et sociales. Dans ce difficile problème, il a, selon nous, une double recherche à faire : il faut examiner d’abord si la constitution psychologique de l’individu est par essence religieuse, puis si les raisons d’être sociales de la religion sont permanentes et entraîneront toujours le même effet.

Selon Guyau, la croyance à l’innéité et à la perpétuité du sentiment religieux naît de ce qu’on le confond avec le sentiment philosophique et moral, mais, quelque étroit qu’ait été le lien de ces sentiments divers, ils sont cependant séparables et tendent à se séparer progressivement ; si universel que paraisse le sentiment religieux, il n’est point inné. « Les esprits qui ont été, depuis leur enfance, sans relation avec les autres hommes par l’effet de quelque défaut corporel, sont dépourvus d’idées religieuses. Le docteur Kitto, dans son livre sur la perte des sens, cite une dame américaine sourde et muette de naissance qui, plus tard instruite, n’avait même jamais eu la moindre idée d’une divinité. Le révérend Samuel Smith, après vingt-trois ans de contact avec les sourds-muets, dit que sans éducation ils n’ont aucune idée de la divinité. Lubbock et Baker citent un grand nombre de sauvages qui sont dans le même cas. Ceux qui font dériver la religion d’un sentiment religieux inné, raisonnent à peu près comme si, en politique, on faisait dériver la royauté du respect inné pour une race royale. » La perpétuité de la religion fondée sur son innéité n’est donc pas démontrée. De ce que les religions ont toujours existé, on ne peut conclure qu’elles existeront toujours : avec ce raisonnement on pourrait arriver aux conséquences les moins sûres. Par exemple l’humanité a toujours, en tous temps et en tous lieux, associé certains événements à d’autres qui s’y trouvaient liés par hasard : post hoc, propter hoc, c’est le sophisme universel, principe de toutes les superstitions. Faut-il en conclure que la superstition soit innée et éternelle ?

Pour le psychologue qui, sans nier les analogies finales, tient à prendre pour point de départ les différences spécifiques (ce qui est la vraie méthode), toute religion positive et historique a, dit Guyau,