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Pourquoi l’auteur a-t-il voulu ainsi opposer l’irréligion de l’avenir à tant de travaux récents sur la religion de l’avenir ? C’est qu’il lui a semblé, dit-il, que ces divers travaux reposaient sur plusieurs équivoques. D’abord, on y confond la religion proprement dite tantôt avec la métaphysique, tantôt avec la morale, tantôt avec les deux réunies, et c’est grâce à cette confusion qu’on soutient la pérennité nécessaire de la religion. N’est-ce pas par un abus de langage que Spencer, par exemple, donne le nom de religion à toute spéculation sur l’inconnaissable, ou au sentiment de l’inconnaissable, d’où il lui est facile de déduire l’éternelle durée de la religion, ainsi confondue avec la métaphysique ou avec le sentiment métaphysique ? De même, beaucoup de philosophes contemporains, comme M. de Hartmann, le théologien de l’Inconscient, n’ont point résisté à la tentation de nous décrire une religion de l’avenir, qui vient se résoudre simplement dans leur système propre, petit ou grand. Beaucoup d’autres, surtout parmi les protestants libéraux, conservent le nom de religion à des systèmes rationalistes. Sans doute, dit Guyau, il y a un sens dans lequel on peut admettre que la métaphysique et la morale sont une religion, ou du moins la limite à laquelle tend toute religion en voie d’ « évanouissement ». Mais, dans beaucoup de livres, la « religion de l’avenir » est une sorte de « compromis quelque peu hypocrite avec les religions positives ». À la faveur du symbolisme cher aux Allemands, on se donne l’air de conserver ce qu’en réalité on renverse. « C’est pour opposer à ce point de vue le nôtre propre que nous avons adopté le terme plus franc d’irréligion de l’avenir. Nous-nous éloignerons ainsi de M. de Hartmann et des autres prophètes qui nous révèlent point par point la religion du cinquantième siècle. Quand on aborde un objet de controverses si ardentes, il vaut mieux prendre les mots dans leur sens précis. On a fait tout rentrer dans la philosophie, même les sciences, sous prétexte que la philosophie comprit à l’origine toutes les recherches scientifiques ; la philosophie, à son tour, rentrera dans la religion, sous prétexte qu’à l’origine la religion embrassait en soi toute philosophie et toute science. Étant donnée une religion quelconque, fût-ce celle des Fuégiens, rien n’empêche de prêter à ses mythes le sens des spéculations métaphysiques les plus modernes ; de cette façon, on laisse croire que la religion subsiste, quand il ne reste plus qu’une enveloppe de termes religieux recouvrant un système tout métaphysique et purement philosophique.

Bien mieux, avec cette méthode, comme le christianisme est la forme supérieure de la religion, tous les philosophes finiront par être des chrétiens ; enfin, l’universalité, la catholicité étant l’idéal