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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

amis, tantôt ennemis, à l’explication des faits physiques et des forces naturelles, dont l’homme retirait des biens ou des maux ; puis, bien plus tard, à l’explication métaphysique du monde, de sa production, de sa conservation, de son gouvernement, de son bonheur ou de sa misère ; enfin on a universalisé les lois sociologiques, et on s’est représenté l’état de paix ou de guerre qui règne entre les hommes, entre les familles, les tribus, les nations, comme existant aussi entre les volontés qu’on plaçait sous les forces naturelles ou au delà de ces forces. Une sociologie mythique ou mystique, conçue comme contenant le secret de toutes choses, mais surtout le secret du bonheur humain, de la conduite humaine et de la destinée humaine, telle est donc la conception de la vie qui, selon Guyau, fait le fond de toutes les religions.

Puisque les religions contiennent un double élément, l’un vital, social et moral, l’autre spéculatif et métaphysique, ce qui subsistera des religions devra avoir les mêmes caractères : ce sera d’abord un ensemble d’avantages d’ordre social, ce sera aussi le sentiment spéculatif et desintéressé des problèmes métaphysiques qui intéressent notre destinée et notre fin morale.

L’idée pratique la plus profonde que Guyau trouve au fond de l’esprit religieux, comme au fond des tentatives de réforme sociale, c’est l’idée d’association. À l’origine, nous l’avons vu, la religion est la « société des dieux et des hommes » ; ce qui subsistera des diverses religions, c’est cette pensée que le suprême idéal de l’humanité et même de la nature consiste dans l’établissement de rapports sociaux toujours plus étroits entre tous les êtres. Les religions ont donc eu raison de s’appeler elles-mêmes des associations et des églises (c’est-à-dire des assemblées). C’est par la force des associations, soit secrètes, soit ouvertes, que les grandes religions juive et chrétienne ont envahi le monde. Le christianisme a même abouti, dans l’ordre moral et social, à la notion de l’Église universelle, d’abord militante, puis triomphante et unie dans l’amour. Seulement, par une étrange aberration, au lieu de considérer l’universalité comme un idéal, limite inaccessible d’une évolution indéfinie, on a présenté la catholicité comme déjà réalisée dans un système de dogmes qu’il n’y aurait plus qu’à faire connaître et, au besoin, à imposer. Ce contre-sens a été la perte des religions dogmatiques, et il subsiste encore même dans les religions qui changent les dogmes en symboles, car il y a encore moins de symbole universel que de dogme universel. La seule chose universelle doit être l’entière liberté donnée aux individus de se représenter à leur manière l’éternelle énigme, et de s’associer avec ceux qui partagent les mêmes conceptions hypothétiques.