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Non seulement le fond sociologique des religions est incontestable, mais il en est de même pour la forme sociologique qu’elles revêtent, selon Guyau. D’après lui, nous l’avons vu, la vie sociale est le modèle, le type sur lequel la société humaine se représente les puissances supérieures, leurs rapports entre elles et leurs rapports avec nous. Cette sorte d’anthropomorphisme social est ce que Guyau désigne par le nom nouveau de sociomorphisme. De même que l’homme est incapable de rien se représenter en dehors de ses propres formes, de même la société ne peut que donner une forme sociale à cet ensemble de puissances supérieures qu’elle projette derrière les phénomènes pour les animer.

Le sociomorphisme se retrouve dans les trois parties essentielles de toute religion : la physique, la morale, la métaphysique. Toute religion est d’abord une sorte de physique, une conception des êtres de la nature dans leurs rapports avec l’homme et ses besoins. L’idée primitive, selon Guyau, c’est celle de l’animé, non de l’inanimé, parce que nous avons conscience avant tout de notre propre vie. L’animé et l’inanimé sont des distinctions toutes relatives et qui n’existent pas dans l’esprit des enfants et des sauvages : pour eux tout est animé, parce que tout se remue ou paraît agir comme ils agissent. Mouvement et action ne se comprennent d’abord que par la vie, dont ils sont pour notre conscience les manifestations les plus immédiates. Les êtres naturels tantôt nous servent, tantôt nous nuisent ; ils ont une influence sur notre vie et notre destinée. Or, un Dieu, c’est un être vivant avec lequel l’homme doit compter et dont la puissance dépasse l’ordinaire. Les dieux étant des êtres plus puissants que l’homme, mais semblables à lui, il peut s’établir entre les dieux et l’homme des liens de société. La religion, dans sa première période, est l’ensemble des lois qui règlent les actions et réactions sociales entre les hommes et les puissances supérieures. Ces lois sont conçues à l’image de celles qui régissent les rapports mutuels des hommes, ex analogia societatis humanæ : de là les prières, les offrandes, les marques de respect et de soumission, etc.

La religion est donc une sociologie fondée : 1o sur la crainte et le désir des hommes devant les puissances naturelles ; 2o sur un raisonnement par analogie qui assimile ces puissances à des volontés. Guyau donne ainsi pour double fondement à la religion primitive les besoins vitaux de l’homme, qui tremble ou espère pour sa vie même, et les besoins intellectuels de l’homme (besoins vitaux supérieurs), qui le poussent à imaginer derrière les phénomènes dont il jouit ou souffre des causes vivantes plus ou moins semblables à lui-même. On a d’abord étendu les relations des hommes entre eux, tantôt