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un résultat de forces et de circonstances naturelles ; c’est donc l’intérêt de la vraie philosophie de tenir compte de ces recherches et de séparer le naturel du surnaturel, le corporel du spirituel.

Contre les tendances destructives de notre époque la philosophie seule peut réagir : une partie de la confusion provient de ce que la lutte a lieu sur le terrain philosophique, tandis que les sciences spéciales devraient se limiter à l’étroit domaine qui leur appartient en propre. Si les empiriques se bornaient à donner le résultat de leurs observations, de leurs mesures et de leurs inductions, ils ne seraient jamais entrés en conflit avec la philosophie ; mais le conflit est devenu inévitable quand ils ont voulu témérairement, de leur point de vue étroit et très rarement sans empiéter sur la solution cherchée, résoudre les plus hautes questions de la vie. Or la spéculation est en Allemagne dans un état plus déplorable encore que les sciences expérimentales, comme le prouvent le succès du pessimisme et le retour au kantisme, insuffisant d’ailleurs pour remédier au mal. La philosophie chrétienne n’a besoin que de s’attacher à la tradition du passé ; comme la religion du Christ qui forme son centre, elle doit avoir un caractère de durée ; l’avènement du Christ et ses doctrines nous fournissent un point fixe pour juger le développement de l’histoire de la philosophie, en maintenir les résultats positifs et apercevoir, dans le combat des systèmes, l’accomplissement d’un grand dessin. Coincidant par son contenu avec les deux vérités fondamentales du christianisme, la transcendance de Dieu, la spiritualité et l’immortalité de l’âme, formée sous l’influence du christianisme en partant de la philosophie socratique et surtout péripatéticienne, par les Pères et les Scolastiques, elle a atteint son plus haut développement avec Thomas d’Aquin. On objecte que revenir à ce dernier, c’est enlever à la recherche philosophique sa liberté et son indépendance, c’est faire en outre une pétition de principe en cherchant à fortifier la croyance par la philosophie et en laissant désigner par la croyance la vraie philosophie. Mais on se fait une conception très enfantine de la capacité de direction de la spéculation abandonnée à elle-même ; on oublie que si nous maintenons les bases de la vie religieuse, morale et politique, nous avons dans le reste la plus grande latitude, que nos adversaires, qui doivent se dire monistes, convaincus ou non, pour ne pas être traités de réactionnaires (Rückschrittmann) n’ont pas plus de liberté. D’ailleurs si nous disons que saint Thomas représente la philosophie chrétienne dans sa fleur, nous ne disons pas qu’elle a trouvé en lui sa conclusion finale, qu’il n’a laissé aucune recherche à faire. Sa philosophie n’est pas la science absolue, mais seulement un membre important, peut-être le plus important de tous les stades à atteindre dans l’évolution scientifique ; il y a encore beaucoup (sehr Vieles) à tirer de la spéculation ; il faut réunir les matériaux, empruntés à l’histoire et à l’expérience, sur lesquels elle doit s’appuyer, utiliser la critique moderne pour comprendre saint Thomas et mieux saisir Aristote. Nous ne sommes pas certes obligés de défendre