Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/529

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
519
ANALYSES.p. lavroff. Opyt istorii mysli, etc. .

corps social. Ainsi se trouve posée la question que M. Lavroff examine en détail : « Qui est demeuré en dehors de l’histoire ? » et à laquelle il répond en rangeant, à côté des sociétés animales qui n’ont pas d’histoire, les groupes préhistoriques, sauvages, ou restés, en pleine civilisation, étrangers au mouvement historique. Suivent quelques pages très belles, très littéraires, que je regrette ne pouvoir analyser ici et qui contiennent une description vivante des deux grandes familles modernes de « parias » de l’histoire : les sauvages d’en bas, les sacrifiés des couches populaires, et les sauvages de la haute culture, les véritables impotents du progrès.

Il ne faudrait pourtant pas s’y tromper : ces deux termes « évolution » et « progrès » ne sont pas synonymes. La question de qualité reste réservée dans toute étude scientifique de la plus haute forme que revêt le mouvement universel : l’histoire. Le fanatisme le plus abject peut déterminer une certaine somme de mouvement historique, et la plus belle découverte de l’homme de génie peut demeurer stérile à cet égard, si elle devient une affaire de mode, si elle n’éveille qu’une imitation servile. En dehors de la vie historique, il n’y a pas de progrès ; mais c’est simplement parce que celui-ci est, comme la régression, une forme du mouvement.

En somme, la conception philosophique de l’auteur paraît être celle-ci : il y a, dans l’univers, trois modes de mouvement qui sont comme des étages superposés ; au bas de l’échelle, dans le monde inorganique, le mouvement est une simple répétition de phénomènes ; au second degré, dans le monde organique, il devient un « développement », c’est-à-dire un processus dont les diverses phases, loin de se répéter pour chaque individu, présentent un ordre déterminé, une succession sérielle d’événements qui commencent et qui finissent ; enfin, à un certain degré de l’évolution biologique — peut-être à son premier degré — paraît et se développe la conscience. Nous ignorons encore ce que peut être ce mode de mouvement ; nous constatons néanmoins, qu’ayant subi cette dernière transformation, le mécanisme universel produit la double illusion de la volonté et de la liberté. — Le mouvement « conscientiel » lui-même n’est d’abord que la simple accommodation de l’être biologique au milieu qui l’environne ; l’animalité et l’immense majorité des hommes ne dépassent pas ce degré ; des changements intenses se produisent sous l’aiguillon des nécessités extérieures, mais l’action lente et uniforme des agents naturels et du milieu social est suivie par une réaction conscientielle de même espèce ; peu à peu, cependant, on voit les processus conscients se développer, s’accomplir de plus en plus rapidement et enfin distancer, dans certains esprits, l’accommodation inconsciente, la modification lente et automatique des idées et des habitudes. Des idées, des sentiments, des désirs, des intérêts, des convictions d’un caractère absolument personnel s’affirment avec force et engagent bientôt une lutte ouverte avec les habitudes héréditaires de la pensée et les formes établies de la culture. La notion du mieux acquiert une valeur