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ANALYSES.p. lavroff. Opyt istorii mysli, etc. .

ce vœu que je quitterai notre auteur ; en somme, ses desiderata et une partie de son ouvrage s’adressent surtout au lecteur aborigène ; mais certains chapitres peuvent, à des titres divers, éveiller l’intérêt du lecteur français.

E. R.

P. Lavroff. Opyt istorii mysli novago vremeni. (Essai d’une histoire de la pensée dans les temps modernes. Vol. I, livre I. Les problèmes de l’histoire de la pensée. Genève, chez Georg ; Paris, chez Ghio. 1888.

Tout le monde, du moins en Russie, connaît M. Pierre Lavroff. C’est un des plus sympathiques personnages du Panthéon révolutionnaire russe. Je ne ferai pas ici sa biographie, ce qui m’entraînerait trop loin. Elle est pourtant instructive : chez lui, comme chez Louis Blanc, chez Proudhon, chez Marx et chez tant d’autres, le penseur, l’homme de la science pure l’emporte de beaucoup sur l’homme d’action. C’est à cet invincible penchant spéculatif que nous devons cette œuvre de valeur : « l’Essai d’une histoire de la pensée dans les temps modernes ».

L’ouvrage entier ne comprendra pas moins de cinq volumes, dont les deux premiers sont, dans la pensée de l’auteur, d’ores et déjà consacrés aux questions générales. Ces questions intéressant particulièrement le philosophe, nous allons nous y arrêter un instant, en prenant pour guide la magistrale « Introduction », que M. Lavroff vient de faire paraître et dont nous avons donné plus haut le titre.

I. M. Lavroff commence par un aperçu général des éléments qui, selon lui, forment le fond de la civilisation moderne et obéissent à une loi d’évolution qu’il examinera plus tard. Une civilisation est le résultat extraordinairement complexe d’une foule de causes physiques, morales ou psychologiques, et purement sociales ; les causes ou forces sociales y prédominent cependant, car elles ne sont, à proprement parler, que la synthèse, l’extrait, la transformation dernière des agents d’un ordre moins élevé. Elles peuvent, par conséquent, fournir l’objet d’une science particulière. Une première analyse découvre trois groupes principaux de faits ou produits sociaux : les faits qui se rattachent à l’évolution scientifique, ceux qui appartiennent à l’évolution de la pensée morale ou pratique, et ceux, enfin, qui traduisent la tendance de l’esprit humain à réunir les résultats des deux évolutions précédentes en une synthèse supérieure : une religion, une métaphysique, un système de philosophie scientifique, etc. Une analyse plus profonde conduit toutefois à un nouveau classement des mêmes faits. Tous les phénomènes sociaux sans exception se rangent indistinctement en deux grandes catégories : les faits de développement proprement dits, tout ce qui, dans la triple évolution scientifique, éthique et philosophique, est en voie de germination ou de croissance, possède un avenir et ré-