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contradictoires sur la liberté et la nécessité, qui est des plus vivement menées ; à la liberté purement transcendantale de Kant et de Schopenhauer l’auteur n’est pas éloigné d’opposer une responsabilité également transcendantale et une pénalité qui ne sortirait pas de la même sphère relevée et problématique. Se déclarant franchement partisan de l’irresponsabilité des actions humaines, qu’il met entièrement sur le compte de la nécessité, « mieux vaut, dit-il, avouer la vérité telle qu’elle nous apparaît dans son développement logique, que de nous laisser aller à la sphère des inventions sophistiques, et ajouter encore à nos illusions naturelles des illusions artificielles. » L’auteur prie, toutefois, de ne pas s’alarmer inutilement : il ne songe à prêcher « ni la destruction des codes pénaux, ni le renversement des prisons et casemates, ni l’abolition de la force de police ou de guerre », — toutes choses dont il serait en effet, soit dit en passant, peu commode de se constituer le champion en plein gouvernement « paternel » ; mais son ambition n’en est pas plus modeste pour cela. Elle ne tend à rien de moins qu’à prouver que les « fondements sur lesquels repose le problème de la liberté ne sont que de grossiers sophismes ». Je ne suivrai pas l’auteur dans la voie où il s’engage pour fournir cette démonstration ; cela nous entraînerait trop loin. Mais j’indiquerai brièvement ses conclusions. Pour lui, le motif fondamental de toute transgression criminelle ou délictueuse gît « non dans l’homme qui est jugé, mais dans ceux qui le jugent, c’est-à-dire en nous-mêmes », dans l’organisation imparfaite des sociétés, dans l’insuffisante ou mauvaise éducation sociale qui est le lot du plus grand nombre. « Le crime et la pénalité, dit-il, sont des notions purement relatives. En dehors de la construction sociale, il n’existe point de crimes, attendu que tous les actes qui correspondent à cette notion, se ramènent à la lutte naturelle et nécessaire pour l’existence. Et, par conséquent, il n’existe pas non plus de pénalité. » Ce n’est qu’en vue de l’éducation sociale reçue par l’individu, et seulement dans la mesure dans laquelle cette éducation a effectivement modifié quelques-unes de nos qualités primitives, qu’on est en droit de parler d’obligations sociales ou morales quelconques. Les besoins sociaux, toutefois, sont aussi normaux que les besoins individuels, et le sujet qui ne s’y soumet pas mérite d’être écarté du milieu social, ne serait-ce que parce qu’il ne s’adapte pas à ce milieu. La pénalité ne peut pas avoir d’autres bases, ni des limites plus larges. Mettre l’individu hors d’état de nuire au corps social, quand on n’a pas su ou pu changer ses tendances naturelles conformément à sa destinée sociale, voilà le dernier retranchement derrière lequel peuvent encore s’abriter aujourd’hui les théories contradictoires sur l’imputabilité du crime et la nécessité du châtiment. Par conséquent, « la seule issue du cercle magique que figurent le délit et la pénalité, se trouve dans la réduction à son extrême minimum de la somme totale des lois et pénalités formulées par la législation ». C’est sur