Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/524

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
514
revue philosophique

temporel et le pouvoir spirituel soient, comme le prétend M. B., en raison inverse l’un de l’autre ? L’expérience historique ne confirme guère cette théorie. Sans doute, il est vrai que le pouvoir temporel est d’autant moins nécessaire que l’accord spontané dans des croyances morales, politiques, religieuses, communes est plus complet. Mais un tel état, loin d’être favorable à la constitution d’un pouvoir spirituel, le rendrait plutôt inutile et même impossible. Il y a un pape, parce qu’il y avait des hérésies possibles en matière religieuse. A-t-on jamais senti le besoin d’un souverain pontife des mathématiques ou d’un saint-synode de la physique ? C’est décidément une étrange contradiction de la part de Comte de réclamer à la fois l’extension de l’esprit positif et la constitution d’un pouvoir spirituel. Si des croyances communes sont désirables, et si les notions positives, disons scientifiques, ont cet avantage de s’imposer par leur propre force, n’est-ce pas précisément une raison de repousser l’accord précaire et artificiel qui résulterait (on se fait du moins cette illusion) de la constitution d’un pouvoir spirituel ?

Il faut cependant reconnaître que M. B. n’incline point en général à l’utopie. Exempt d’esprit de système, il est prudent dans ses prévisions et dans ses conjectures et croit que la marche des sociétés résulte d’un compromis entre les conceptions inverses de Spencer et de Comte, l’une essentiellement individualiste, libérale, impliquant la diminution progressive de tout pouvoir régulateur, l’autre témoignant d’un besoin excessif de réglementation, de systématisation et d’unité. Il eût été intéressant de suivre ce compromis dans un exposé du développement social moderne et contemporain. Mais l’ouvrage de M. B. ne comportait guère une recherche originale sur de telles questions, et nous pouvons lui savoir gré de s’être du moins défié des solutions exclusives dans des problèmes complexes où l’avenir réserve sans doute aux théoriciens plus d’une surprise et plus d’un démenti.

G. Belot.

O. K. Notovitch. La liberté de la volonté. Paris, F. Alcan, 1888.

Cette petite étude n’est pas dénuée d’intérêt. Outre qu’elle contient nombre d’aperçus curieux et de remarques ingénieuses, cette traduction du russe reflète, dans une certaine mesure, les qualités et les défauts essentiels de l’esprit slave, du moins quand il aborde — position assez nouvelle pour lui — les hauts problèmes de la métaphysique. Deux mots, insuffisance et radicalisme, résument assez bien l’impression générale ressentie à la lecture des écrits russes de vulgarisation ou de critique philosophique ; je dis vulgarisation et critique, car, moins encore que partout ailleurs, on est enclin aujourd’hui, en Russie, à bâtir de toutes pièces de grands systèmes métaphysiques. L’insuffisance consiste principalement en une absence