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ANALYSES.l. bresson. Etudes de sociologie, etc.

crète de sa genèse et de ses transformations, tout cela est effacé dans le plan de l’auteur ? On peut se demander encore si cette même tripartition appliquée à l’évolution sociale proprement dite est bien heureuse. Y a-t-il une phase métaphysique dans le développement organique des sociétés ? Cela ne se conçoit guère, alors surtout que l’auteur avoue le peu d’influence sociale des systèmes de pure philosophie. De fait il nous annonce l’exposition de cette phase métaphysique ; mais on la chercherait en vain dans le livre.

Ce défaut de synthèse, dont nous venons de rencontrer quelques exemples, et qui est grave dans une œuvre qui vise à condenser tout un système, peut-être plus frappant encore dans la séparation établie par l’auteur entre l’évolution morale et l’évolution sociale. Peut-on parler d’une morale positive sans lui donner une base essentiellement sociologique, sans considérer la moralité comme émanant directement des conditions de la vie sociale ?

Il ne saurait être question d’analyser en détail un livre qui ne fait que résumer des doctrines bien connues de nos lecteurs. Il ne nous reste qu’à dire quelques mots des tendances et des conclusions de l’auteur.

En logique, il professe un empirisme très franc, quoique peut-être sans beaucoup de profondeur, qui va jusqu’à l’adoption des thèses de Stuart Mill sur l’induction et sur la nature des notions mathématiques.

Empiriste également en politique et en sociologie, il condamne à ce point de vue la politique radicale, comme apriorique et déductive. Pourquoi seulement nie-t-il la possibilité de l’expérimentation sur ce point ? De la politique expérimentale, on en fait tous les jours, quoique souvent sans le savoir, et d’excellents esprits demandent qu’on en fasse à bon escient, qu’on la transforme en une véritable méthode politique, qui, livrant à l’épreuve d’une expérimentation prudente et partielle les réglementations sociales dont les résultats, peut-être excellents, sont pourtant discutables et incertains, épargnerait aux sociétés nombre d’aventures plus ou moins ruineuses, tout en leur assurant des réformes désirables devant lesquelles on recule faute de garanties. Il y a là, pensons-nous, une tendance dont les sociologues de l’école empirique devraient se faire les défenseurs plutôt que les adversaires.

D’une manière générale, M. B. s’inspire plus de Comte que de Spencer. C’est ainsi que, tout en faisant des réserves au sujet des dernières spéculations de Comte sur la religion de l’humanité, il réclame sans cesse des « croyances communes » et adopte l’idée d’un pouvoir spirituel. Il est vrai qu’il le veut purement scientifique et persuasif, et par conséquent cherche à le concilier avec la tolérance et l’esprit d’examen. Mais cela peut-il bien s’accorder avec l’idée d’un pouvoir constitué, érigé en institution politique ? On nous permettra d’en douter. De plus cela supposerait un double changement qui paraît reculé à un bien problématique avenir : la conquête complète de la politique par la science, et la disparition des autorités théologiques. Est-il exact d’ailleurs que le pouvoir