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déiste ; la philosophie de Spinoza est traitée de « mélange confus de matérialisme et de spiritualisme » ; le sens kantien du mot transcendantal paraît complètement inconnu de l’auteur ; les caractères propres, et si accusés, de la morale kantienne s’évanouissent entièrement dans son exposition ; etc. Est-ce aussi par suite d’une simple faute d’impression que l’auteur de la Théorie des sentiments moraux est nommé Adam Schmidt (p. 333) ? On sent trop que l’auteur ne parle de tout cela que par ouï-dire et ne s’est point assimilé toutes ces connaissances ; ce que nous explique d’ailleurs, sans l’excuser, son dégoût de positiviste et de polytechnicien pour la philosophie pure (voy. pp. 112-113).

Sur d’autres points, où M. B. rejoint Comte et Spencer, ceux-ci se trouvent en désaccord. Ces divergences, M. B. ou ne les a pas toujours suffisamment senties, ou il ne s’est pas complètement tiré de l’embarras où elles le jetaient. Il ne semble pas, par exemple, s’être aperçu que l’évolution religieuse n’est pas conçue de la même manière par Comte et par Spencer ; que le fétichisme et l’astrolâtrie, primitifs pour celui-là, sont au contraire dérivés, pour celui-ci, de la croyance spiritiste. Il n’a pu d’autre part lui échapper que les tendances politiques de Comte et de Spencer sont profondément différentes : chez celui-ci, l’État purement juridique, le pouvoir public réduit à son minimum, la charité tenue en défiance au nom de la sélection ; chez l’autre, le besoin d’une forte organisation autoritaire, même dans l’ordre spirituel, la condamnation des institutions démocratiques et du régime électif, l’altruisme sentimental et sans restriction. M. B. voit assez bien toutes ces oppositions ; mais on peut dire qu’il laisse au lecteur la tâche d’en trouver la conciliation.

Bien d’autres difficultés sont éludées ou effacées. Ainsi, tandis qu’en un passage l’auteur considère avec Spencer la promiscuité comme primitive, ce qui suppose les relations résultant de l’organisation sociale antérieures à l’organisation et aux relations familiales, ailleurs, peut-être sous l’influence d’une théorie bien connue de Comte, la famille est au contraire envisagée comme le point de départ du groupement social. Il est encore difficile de savoir si l’auteur admet une évolution indéfinie des sociétés ou au contraire la nécessité de leur dissolution (pp. 217 et 220).

Notons encore ce que l’usage fait par M. B. de la théorie des trois états a de peu compatible avec la conception évolutionniste. Rien n’est moins propre à faire comprendre ce que l’évolution a de graduel et de progressif que cette manière de scinder en trois chaque évolution. C’est ce qui est particulièrement sensible dans le tableau de l’évolution morale. M. B. nous parle successivement de la morale théologique, depuis celle des Égyptiens jusqu’à celle du christianisme ; de la morale philosophique depuis Démocrite et Pythagore jusqu’à Kant et Cousin ; enfin de la morale positive (d’après le Dr Letourneau). Avons-nous dès lors une idée véritable de l’évolution morale, quand le développement progressif de la moralité comme fonction sociale vivante, la réalité con-